Pour le jeune Abdallah Chidi Djorkodeï, le déclic intervient en 2002 avec l’assassinat de feu Youssouf Togoïmi, victime de l’explosion d’une mine téléguidée au passage de son convoi militaire dans le Tibesti. Grand intellectuel et cadre tchadien, en Septembre 2006, il s’envole pour le Maroc pour poursuivre ses études à la Faculté des Sciences et Techniques de Marrakech. En 2007, Abdallah Chidi Djorkodei s’est engagé aux côtés de l’UFDD, un mouvement politico-militaire que dirige le Général Mahamat Nouri Allatchi et qui a mené des grandes actions militaires contre la dictature de N’djaména. En Juin 2008, il passe avec succès quatre concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs. Abdallah Chidi Djorkodei a répondu à l’appel en adhérant au MDJT le 12 juin 2004. Il avait 18 ans. Il a été actif à l’intérieur du pays malgré la répression sauvage qui s’abattait sur l’opposition. L’accord de Paix signé le 18 août 2005 avec le gouvernement a mis fin aux actions du MDJT. De 2011 à 2017, Abdallah a été membre fondateur du Mouvement d’Action pour le Changement au Tchad (MACT) que dirige le Dr. Ali Ordjo HEMCHI. Il a assuré la communication du mouvement politico-militaire. Trois ans plus tard, le 24 juin 2011, il a été déclaré admis au diplôme d’Ingénieur d’Etat en Réseaux Informatiques et Systèmes d’Informations (IRISI).
En 2011, Abdallah Chidi Djorkodeï s’envole pour les Usa. Il valide plusieurs formations toujours dans le domaine de l’Ingénierie informatique. Depuis son installation aux Usa, Abdallah Chidi Djorkodeï a beaucoup investi dans l’activisme politique. Avec les compatriotes, il a mené plusieurs manifestations devant le siège de l’ONU pour dénoncer les violations des droits de l’homme au Tchad. Il s’est confié au quotidien sénégalais «DakarTimes » sur des questions politiques qui concernent son pays. Entretien…
DAKARTIMES : Vous dirigez le FNDJT et vous êtes depuis deux mois à Doha, dans le cadre du pré-dialogue, sont organisées des négociations de paix et de réconciliation avec le gouvernement tchadien et le Qatar comme médiateur. Deux mois, n’est-ce pas trop long ? Que pensez-vous de l’organisation de cette rencontre au Qatar ?
Abdallah Chidi Djorkodeï (ACD) : Je vous remercie pour votre intérêt pour le Tchad, merci aussi de nous donner l’opportunité de nous expliquer, de délivrer notre message à toute l’Afrique mais aussi à la communauté internationale très bien représentée au Sénégal. Assurément, vous êtes un panafricaniste engagé. Mes remerciements à toute l’équipe de Dakartimes.
Vous savez que le Tchad, au lendemain de la mort d’Idriss Deby, a vu se mettre en place une transition de 18 mois. Elle s’est fixée comme feuille de route de mener une négociation de réconciliation et de paix avec toute l’opposition politico-militaire à l’étranger, d’organiser un Dialogue National Inclusif (DNI) pour que le Tchad réconcilié, puisse avancer vers des élections libres et démocratiques et ouvertes à tous. C’est une noble mission mais une tâche difficile, parsemée d’obstacles à franchir. Des obstacles inhérents à la confrontation des hommes autour des questions de pouvoir, d’ambitions, d’influences. Et ceci est une donnée majeure qui existe dans les deux camps : à la fois du côté du gouvernement que du côté des opposants. Autrement dit, faire la paix est aussi difficile que faire la guerre mais la survie du Tchad en tant que nation et État en dépend, nous devons le comprendre tous et faire des sacrifices pour sauver notre pays du chaos.
La phase des négociations qui s’est ouverte à Doha a été précédée de deux autres étapes. Il y a eu, d’abord, les démarches initiées par le Togo. Le Ministre des affaires étrangères a saisi 4 groupes politico militaires pour étudier les voies et moyens de parvenir à une paix durable sur demande des autorités de la transition, du CMT. Ensuite, une autre étape a été celle de Paris, où il a été question de formaliser la volonté de paix et de dialogue. Et ce fut la réunion de Rome, enfin, la dernière étape, est celle d’aujourd’hui, de Doha pour finaliser ce processus.
Notre mouvement, tout comme les autres, est dans ce processus qui est sur les rails et un certain nombre d’actes positifs ont été posés par le gouvernement qui nous a ainsi démontré qu’il a emprunté le chemin de la paix, par exemple : les textes sur l’amnistie ont été rendus publics, la commission de restitution des biens appartenant aux opposants et qui étaient occupés par des tiers, est à pied d’œuvre et travaille sérieusement. Le gouvernement a élargi la table ronde et inclus des opposants sans branche militaire dans ces négociations de la réconciliation et de la paix au Qatar. C’est une bonne chose. Le Qatar a organisé et pris en charge la totalité des frais de cette rencontre de Doha. Il en est aussi le médiateur et apporte ainsi une sérieuse caution à ces négociations et ce, aux côtés de la communauté internationale, de l’UA, de la CBLT, de la CEEAC, c’est donc une réunion d’importance et qui se tient depuis déjà deux mois. Cela veut dire que le Tchad est aussi un pays important, que son avenir, sa stabilité sont cruciaux, à la fois pour nous, que pour ceux qui y participent et contribuent ainsi à ce processus de paix positivement.
Le pays médiateur, le Qatar a une diplomatie active en Afrique et dans le monde puisqu’il a déjà parrainé de nombreuses rencontres des négociations de paix, que ce soit pour l’Afghanistan, le Soudan, l’Égypte etc. Ce pays très influent a un art de la diplomatie qui lui est propre et nous devons respecter cela. Jusqu’à présent, nous nous retrouvons sur l’essentiel et nous avançons pas à pas dans les négociations avec le gouvernement qui joue le jeu, lui aussi, sur l’essentiel. Notre mouvement, le FNDJT (Front de la Nation pour la Démocratie et la Justice au Tchad) a bien pris conscience de l’enjeu de ces négociations pour notre pays. Nous avons estimé que nous nous engagerons sincèrement pour la paix si les injustices qui ont justifié notre rébellion, cessent et qu’une voie nouvelle s’ouvre aux Tchadiens et tchadiennes pour que leurs conditions de vie soient plus équitables, justes et meilleures. Pour cela, nous nous sacrifierons pour que ces objectifs qui nous ont toujours animés et qui ont fait que nous avons perdu des frères dans les guerres, soient réalisés. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous échangeons avec les hommes et les femmes de bonne volonté où qu’ils se trouvent pour arriver à cette paix, pour se réconcilier, mais aussi et surtout, pour travailler pour nos populations, pour bâtir un Tchad dans lequel les Tchadiens, qui aiment tant leur pays, puissent vivre ensemble dans la paix, la justice et qu’ils puissent aussi profiter des immenses richesses de leur pays équitablement. Ce sont les objectifs qui nous animent depuis nos 18 ans d’exil et nous les respecterons et c’est pour cela que le FNDJT s’est assis autour de la table de négociations et est prêt à répondre, et, à serrer la main tendue de la paix et de la réconciliation si le gouvernement répond à nos préoccupations qui sont celles exprimées par les populations tchadiennes sur l’ensemble du territoire : vivre mieux, en sécurité, s’épanouir, être éduqué, soigné et progressé dans la vie. La situation de notre pays l’exige absolument avant qu’il ne soit trop tard.
DAKARTIMES : On comprend que le chemin de la paix est complexe, tellement les problèmes de tous ordres jonchent cette route. Pensez-vous que le Président du CMT peut mener, à bon port, cette barque de la réconciliation dans laquelle vous avez embarqué ?
ACD : Le Président du CMT a, d’abord, voulu cette politique de réconciliation. Elle est conduite sous sa direction. A l’heure, où je vous parle, ce n’est pas un échec. Les choses avancent résolument. Il faut dire que le Président du CMT est très jeune, 37 ans, c’est avant tout un militaire, un homme de terrain qui n’a pas flirté avec les questions politiques. Il a mis en place une équipe avec une mission à accomplir. Rien n’est facile. Vous savez que les guerres tchadiennes sont très meurtrières à cause de l’engagement des hommes et de leurs chefs de toutes parts. Donc il faut surmonter cela, voir ce que l’on appelle « L’intérêt supérieur de la Nation tchadienne », il n’y a pas de gagnant ni de perdant, seulement des Tchadiens qui se retrouvent. A l’observation, il est un homme accessible aussi. Dans ce processus de paix, je lui garde toute ma confiance.
DAKARTIMES : Vous avez évoqué tout à l’heure que des luttes autour du pouvoir, le choc des ambitions constituaient autant d’obstacles sur le chemin de la paix, est -ce que vous faites allusion aux problèmes que votre mouvement a connu récemment à Doha avec un autre mouvement, le CNRD de M. Abakar Tollimi. Pouvez-vous nous expliquer les tenants et aboutissants du problème ?
ACD : Après avoir milité et occupé des responsabilités dans deux mouvements politico-militaires, c’est en 2018 que j’ai intégré le CNRD du Dr Abakar Tollimi, j’ai été le Secrétaire chargé des relations avec les partis politiques et les mouvements. Ce parti politique a été créé en France et s’inscrivait dans une opposition non armée au régime de feu Idriss Deby. En 2019, un mouvement politico-militaire, le FNDJT m’a saisi pour le rejoindre. C’est ce que j’ai fait en démissionnant du CNRD et je suis devenu le Délégué chargé des relations extérieures et Porte-parole du FNDJT. C’est à ce titre que je suis le Chef de la délégation du FNDJT à Doha. Les deux mouvements FNDJT et CNRD étaient proches et collaboraient ensemble sans difficultés. Au moment des pourparlers de Paris, dans le cadre du processus de négociations avec le gouvernement, M Abakar Tollimi m’a demandé de prendre son frère au sein du FNDJT. Je n’ai pas adhéré à cette requête de M Abakar qui a beaucoup insisté, en vain. Nous sommes arrivés à Doha chacun avec son parti et sa délégation. Les travaux et échanges entre politico-militaires et gouvernement et autres partenaires aux négociations ont mis en évidence que les groupes politico-militaires faisaient l’objet de plus d’intérêts dans la mesure où leur branche militaire était un point important pour la paix et qu’il fallait leur proposer un plan DDR, etc. M Abakar Tolli du CNRD a réalisé que s’étant ancré dans une opposition non armée, sa place dans cette rencontre de Doha devenait insignifiante pour lui. Il a alors déployé des manœuvres en direction de ma base sur le terrain pour faire croire que j’ai trahi la cause du mouvement et obtenir ma destitution, à défaut, susciter une scission au sein du FNDJT. Nous nous battons pour faire face aux sales coups, nous avons beaucoup souffert, beaucoup sacrifié durant nos 18 ans d’exil, nous avons aussi beaucoup travaillé, donné le meilleur de nous pour cette cause que nous défendrons jusqu’au bout. La politique est faite de violences, de lâcheté, de mensonges, de manipulations médiatiques. L’opération qui visait à récupérer le FNDJT, à en prendre le contrôle, a échoué, c’est le plus important pour moi. M Abakar Tollimi a quitté les négociations de Doha pour rentrer en France.
DAKARTIMES : La situation du Tchad semble confuse, le CMT peine à convaincre les mouvements de la société civile qui organisent des manifestations qui s’amplifient chaque jour, le dialogue national inclusif est reporté à une date ultérieure, et ces jours-ci des manifestations anti-françaises ont dégénéré. On a l’impression que les problèmes s’accumulent sans solutions.
ACD : La situation est difficile, les attentes des populations tchadiennes sont immenses et le gouvernement doit se mobiliser pour y faire face. C’est sa mission et son devoir. En ce qui concerne la tenue du dialogue national inclusif, il ne peut pas se tenir sans les mouvements politico-militaires, car ils sont une partie importante pour la stabilité du pays, pour repartir sur de nouvelles bases.
DAKARTIMES : Votre mot de la fin.
ACD : L’engagement du FNDJT pour construire la paix est un engagement responsable et patriotique. En tant que Chef de délégation de mon mouvement à Doha, je défends la cause noble de notre mouvement en phase avec les idéaux qui nous animent pour améliorer les conditions de vie des populations tchadiennes, avec l’aide du Tout Puissant, inch Allah. Merci à toute l’équipe de Dakartimes.