Tout d’abord par rapport à l’initiative
C’est une bonne initiative car les Tchadiens écrivent peu et Dieu sait s’ils ont des choses à dire sur l’histoire de leur pays qui a été mouvementée et demeure largement ignorée tant des jeunes tchadiens qu’à l’extérieur.
Sur la forme
Le livre est bien écrit, dans un style simple donc à la portée de tous. Quand on sait que l’auteur est un juriste et qu’en général ceux là ne s’expriment pas de manière simple c’est un plus. On peut se demander pourquoi l’auteur n’a pas utilisé les termes » ….combat politique d’un opposant exilé «
Sur le fond
L’auteur n’a pas hésité en tant qu’acteur, a livré dans certains aspects de son témoignage, des détails avec noms des interlocuteurs .Cette attitude a eu pour effet de rendre son récit plus crédible, plus intéressant.
L’auteur a, de manière générale, évité de parler des hommes qui animent et font marcher le régime Déby. On a le sentiment que c’est une omission volontaire pour sauvegarder ses relations avec ces hommes mais aussi parce que beaucoup d’entre eux appartiennent à la famille.
C’est pourquoi, indexer Déby seul, n’est pas toujours convaincant pour des tchadiens avertis des questions politiques de leur pays.
Par rapport à la classe politique
Personne ne trouve grâce aux yeux de l’auteur, on peut regretter un tel égocentrisme. Tout au long de son parcours tant au RDP qu’au CNR, l’auteur se présente comme le seul intellectuel » j’ai proposé….j’ai rédigé… « .
Un constat important, monsieur HAGGAR n’a pas dit un mot sur nos frères du Sud, on sent ici une autocensure par peur d’être étiqueté par leurs lobbies devenus très offensifs; ce sentiment est évident lorsqu’il évoque sa rencontre avec Laokein Balde et la haine que ce dernier éprouve pour les zaghawas.
Des sentiments antizaghawas, aujourd’hui largement répandus chez les tchadiens, ont affecté l’auteur. Aussi on peut se demander si ce livre est une tentative de réhabilitation de cette communauté ? Une façon de dire, nous ne sommes pas tous les mêmes, sentiment qui filtre déjà dès les premières lignes quand l’auteur essaye de distinguer les différents sous groupes ethniques chez les zaghawas…
On peut regretter ici que l’auteur n’ait pas saisi cette opportunité pour parler du sultanat des Haggar. Comment fonctionne t-il ? Quel rôle joue t-il aujourd’hui ? Certains membres de cette famille collaborent activement et font partie du premier cercle, qui sont ils ? Sont ils les plus importants ? Quelle a été la réaction du sultanat par rapport à son mouvement ?
Par rapport au Soudan, nous n’avons lu que des généralités, des questions clés sur ce dossier ont été ignorées. A son niveau, l’auteur ne peut les méconnaître.
Pas de dénonciation directe du pillage du Tchad par les zaghawas du Soudan. Comment tous les membres, cadres et intellectuels de cette communauté ont ils pu cautionner et soutenir une telle politique sans une seule petite étincelle de patriotisme ?
En ce qui concerne la Libye, beaucoup de contradictions; on voit quelqu’un qui situe bien la question libyenne au Tchad mais voilà que lui même se dirige droit dans les bras des libyens. Alors quid des grands discours ? Beaucoup de naïveté aussi, en croyant pouvoir initier une nouvelle approche dans les relations tchado-libyennes. Il n’est pas interdit de rêver…
Un ami avec qui nous discutions de cette question préférait parler » d’opportunisme » quand l’auteur dit que certainement Kaddafi ne devait pas être au courant de leur arrestation…histoire de ménager l’avenir.
Le lecteur est troublé par les » réunions familiales » qui regroupent les hommes clés du régime pendant lesquelles se posent les doléances, et où les intérêts du clan sont discutés et défendus et auxquelles assiste régulièrement monsieur Haggar ; il est un opposant au régime le matin (réunion du RDP) et le soir assiste à une réunion familiale, on peut se poser beaucoup de questions.
Selon certains, l’auteur aurait placé la barre de ses prétentions un peu trop haute lors de ces fameuses réunions, c’est pourquoi le régime s’est assuré du soutien et de la collaboration des membres plus importants et plus représentatifs des zaghawas.
Dernier point, par rapport aux évènements d’avril 1989, là le subjectivisme et le sectarisme l’ont emporté sur la raison. La trahison, encore une fois n’est pas le seul fait de Deby, les postes clés de la sécurité : à savoir l’intérieur, les forces armées, la sécurité de la présidence étaient aux mains des Zaghawas, signe évident d’une confiance qu’avait Hissein Habré envers ces responsables.
De plus, les conditions de recrutement, de préparation et la contribution étrangère pour faire tomber le régime Habré, sont aujourd’hui largement connues. Les organisateurs ne s’en sont pas cachés une fois le travail réussi.
Ce n’est pas à l’honneur de M. Haggar de trouver des petites historiettes pour justifier une trahison d’un groupe qui a joué le rôle tristement célèbre des tirailleurs africains embarqués pour faire la guerre des autres, et malheureusement l’histoire de notre pays est truffée de ce genre de » tipayos « .
Pendant la longue errance des opposants dans les pays limitrophes et autres, nous faisons un constat, à aucun moment l’auteur ne s’est rapproché de » sa base militaire « , pas plus qu’il n’en parle avec précision. Pour beaucoup de personnes, le CNR n’a jamais eu une base militaire et personne n’a souvenance d’un quelconque accrochage avec les forces gouvernementales. Dès lors parler du CNR comme étant une force militaire incontournable pour faire tomber le régime nous paraît quelque peu exagéré pour ne pas dire plus, surtout quand cette force militaire n’existe pas.
Par rapport au titre de héros national attribué à Hassan Djamous exclusivement, il faut bien le souligner, nous pensons que le tribalisme a vraiment de beaux jours devant lui et surtout a bien gangrené le cerveau de nos intellectuels.
Que de mauvaise foi, nous pensons que dans le conflit Tchad-Libye, comme d’ailleurs dans toute guerre, il y a deux faces : tout d’abord celle de la volonté politique de défendre les intérêts nationaux, l’intégrité territoriale mais aussi la dignité du peuple tchadien. La sincérité de cet engagement national conditionne la capacité de mobilisation de toutes les forces vives d’un pays. C’est ainsi que peuvent être aussi mobilisées les forces armées qui sont la seconde face d’un conflit. Nous disons que les intrépides combattants tchadiens sont tous des héros, eux qui ont payé le prix fort pour que le Tchad recouvre sa souveraineté.
Il n’y a pas un héros national ,un monsieur qui comme par hasard est un zaghawa ! non ,il y a eu des centaines de héros et originaires de toutes les ethnies de notre pays.
De grâce, ne falsifions pas l’histoire très récente de notre pays, si la Libye a échoué dans son entreprise de conquête du Tchad, c’est avant tout parce qu’il y a eu un homme qui s’est levé et qui lui a dit non, qui a mobilisé son peuple, lequel a senti la sincérité de cet engagement et s’est uni et levé pour faire face à l’ennemi . C’est tellement vrai que demander aujourd’hui aux libyens : Qui considèrent-ils comme leur ennemi juré ? Et la réponse va fuser…
C’est pourquoi, après le départ de Hissein Habré, on a vu la parade de Kaddafi au Tchad sous les » kaddafi oyés… » de toute la classe politique qui, il faut le dire, à part quelques petites exceptions, étaient des gens ayant dans le passé, cautionné et contribué à l’occupation du Tchad par la libye. Un énorme gâchis, une trahison envers tous les fils du Tchad tombés sous les balles libyennes; notre pays est vraiment malade de ces hommes politiques. Comme le dit, le journal » Le Temps » les tchadiens sont aujourd’hui devenus » des maras azabas » pour les libyens et à l’étranger nous rasons les murs, me confiait récemment un ami fonctionnaire international.
Les problèmes du Tchad ont pendant longtemps occupé le devant de la scène politique africaine, de nombreux pays ont contribué à la résolution du conflit et ce à travers l’action de leurs élites qui, récemment encore à l’occasion de la plainte déposée contre l’ancien président Hissein Habré, nous ont, nous tchadiens, surpris de lire des témoignages d’intellectuels sénégalais prenant la défense d’Hissein Habré à travers de pertinentes contributions et ont ainsi situé l’importance de son combat mais aussi leur connaissance parfaite des véritables enjeux des problèmes tchadiens tout comme les soubassements inavouables de cette affaire.
L’histoire des différentes guerres qu’a connues notre pays reste encore à écrire, et nous souhaitons qu’elle le soit par les tchadiens eux mêmes, seraient-elles des œuvres subjectives et sujettes à critiques. C’est pourquoi nous encourageons tous les acteurs encore vivants d’écrire afin que soit entretenue la mémoire collective sur les faits historiques les plus marquants de notre pays.
La Rédaction