La mort politique de Laurent Gbagbo et l’assassinat tout court d’Ossama Ben Laden sont-elles comparables ?Oui, à bien d’égards !
Tout d’abord, ces deux évènements se sont déroulés dans un contexte de violence, de guerre extrême. Tous les deux sont le résultat d’un assaut qualifié de final sans pour autant que les problèmes politiques liés à ces hommes soient résolus par cette double liquidation programmée. Ensuite, ce sont des forces spéciales qui ont mené les attaques dans les deux cas, signifiant, par là même, à l’opinion internationale le retour aux méthodes expéditives.
Auparavant, dans les deux cas, la mise à mort a été précédée par la mobilisation d’impressionnants moyens de répression juridique, politique, médiatique, militaire et financière.
C’est ainsi qu’aux USA, des actes juridiques exceptionnels ont été posés par le Patriot Act permettant la mise en place des prisons de Guantanamo et de tant d’autres prisons secrètes disséminées dans le monde entier qu’on a appelées « les prisons de la CIA ». Une surveillance planétaire, l’exigence d’une numérisation des pièces d’identité dans le monde entier, les contrôles aux frontières, la restriction et le contrôle des flux financiers se sont rajoutés à la panoplie déjà existante de mesures décidées et imposées dans la lutte contre le terrorisme de Ben Laden.
Deux guerres ont été lancées contre deux pays à savoir l’Irak et l’Afghanistan désignés comme bases de soutien à Ben Laden. Rappelons qu’en ce qui concerne l’Irak, les deux expéditions militaires menées par les USA ont entraîné l’arrestation et l’exécution par pendaison de Saddam Hussein décidée par les américains. Pourtant tous les pays du Nord savaient que le régime de Saddam n’avait pas de connexion avec Ben Laden et que les armes de destruction massive étaient un inimaginable mensonge d’Etat.
Dans le pays de Laurent Gbagbo, des moyens juridiques ont été déployés et ont entraîné des accords politico-juridiques ; il y eut celui de Marcoussis, véritable piège concocté par les autorités françaises pour dépouiller Laurent Gbagbo de tous ses pouvoirs de Chef de l’Etat ivoirien. Puis, vint l’accord de Ouagadougou également rédigé par un juriste français à savoir le professeur Pierre MAZEAUD. Ces textes juridiques ont reçu l’onction des Nations Unies pour permettre le déploiement de 12.000 éléments des forces des Nations Unies, devenues le véritable bras armé du complot contre Gbagbo, un formidable outil de répression militaire.
Ensuite, la France sollicita et obtint la mise en place d’une coalition internationale qui conjugua ses efforts pour faire la guerre à la Côte d’Ivoire tout comme, par ailleurs et auparavant, elle répondit favorablement dans la chasse à l’homme planétaire pour trouver Ben Laden mais aussi dans la conduite abusive des guerres contre l’Irak et l’Afghanistan. Laurent Gbagbo dut faire face à une guerre économique, financière, politique, médiatique et bien sûr militaire par le montage de toutes pièces et le financement d’une rébellion par la France et ses alliés.
Ben Laden fut traqué dans le monde entier, mais les citoyens du monde entier appartenant à certains pays ont aussi payé parfois abusivement à la place des terroristes. Au nom de la lutte contre le terrorisme, toutes les dérives furent légitimées, de même qu’au nom d’une pseudo victoire à une élection, tous les dérapages furent autorisés en Côte d’Ivoire.
Ainsi, après une période de guerre plus ou moins longue, il fut décidé dans les deux cas d’en finir par le recours à une opération commando. Ainsi, les mêmes méthodes ont été déployées pour la capture de Ben Laden et de Laurent Gbagbo. Toutefois, si le but de l’opération contre Ben Laden était de le tuer, celui de l’assaut contre l’ancien Président ivoirien était de ne pas le tuer. D’aucuns se posent la question de savoir si l’opération qui aurait visé la capture de Ben Laden n’a pas échoué ; ou bien, comme le laissent entendre certains commentateurs américains, il se pourrait qu’il ait été tué par ses propres gardes de corps. En effet, le chef d’Al-Qaïda leur aurait fait jurer sur le Saint Coran de lui donner la mort en cas de danger imminent et ce, dès l’attentat du 11 septembre. Cela est tout à fait possible.
Pour la mise en œuvre d’une opération de liquidation, la préparation de l’opinion est un élément important. Tout d’abord, la cible est présentée comme insaisissable, forte, dangereuse ; ainsi, selon les justiciers à sa trousse, Ben Laden était, quelque part, comme entre le ciel et la terre, tandis que Laurent Gbagbo était dans un bunker fortifié, imprenable par les 12.000 hommes des forces des Nations Unies, qualifiés de bons à rien. La théorie du bunker a été utilisée en Irak par les forces spéciales américaines, et on peut relever que les unités d’élite de l’armée française appliquent désormais les méthodes américaines. L’existence supposée du bunker sert à justifier l’escalade militaire et surtout à légitimer les moyens violents utilisés ; « on est obligé d’y aller plus fort car il est dans un bunker !». Constatons que le bunker de Saddam Hissein n’a jamais existé, de même celui de Laurent Gbagbo était une vaste manipulation comme l’ont démontré plusieurs reportages de la BBC. En fait, c’était un simple soubassement comme on le ferait pour un garage souterrain, exactement comme beaucoup de personnes ordinaires le font chez eux.
Force est de constater que l’assaut final dans les deux cas s’exprima dans la violence absolue, extrême, la mort sera donnée, le sang sera versé, le crime accompli, la guerre comme action politique tout simplement.
Seulement dans cette guerre totale, dans ce corps à corps mortel, sans répit et sans pitié, la volonté de domination ne s’arrête pas à la mort physique ou à la reddition de l’ennemi. La maîtrise du corps de l’adversaire, la volonté irrépressible de s’approprier ce corps pour y inscrire sa domination, fait partie des méthodes barbares, sauvages et attentatoires à la vie humaine qui malheureusement existent réellement.
Par exemple, au Rwanda, lors des guerres tribales, les chefs Tutsi qui avaient réussi à tuer un chef Hutu prélevaient ses bourses pour en tanner leur tam tam , de même les tribus indiennes mangeaient le cœur d’un chef ennemi tué au combat pour s’assurer de l’avoir définitivement vaincu. Le corps de l’adversaire est un trophée de guerre, ces pratiques d’un autre âge sont aujourd’hui réactualisées et mises en œuvre par les démocraties occidentales que sont les USA et la France. C’est d’une ignominie absolue !
Rappelons pour souligner que ces agissements ont été constatés dans le cas Saddam Hussein et Laurent Gbagbo par la mise en scène de leur arrestation, de leur humiliation par une atteinte à leur corps ; Saddam apparu hagard, hébété avec une barbe de plusieurs mois ; drogué, torturé et maintenu en prison depuis plus de huit mois par les Américains avant de le sortir (d’un trou aménagé par leurs propres soins) au moment choisi comme le diront plusieurs Officiers irakiens. De même, sa pendaison fut filmée et diffusée sur You tube. L’ancien Président Laurent Gbagbo a subi le même sort, arrêté par l’armée française, il fut remis aux hommes de Ouattara qui le déshabillèrent, arrachèrent les cheveux de son épouse ; bref, il leur fallait imprimer sur les corps de leurs adversaires les signes d’une victoire quelque part amère parce que non acquise personnellement ; d’où le déchaînement de leur violence sur le couple Gbagbo.
C’est la même logique qui a animé les Américains qui ont jeté le corps de Ben Laden dans la mer, dans la précipitation (si cette affirmation est vraie, car permettez-nous de souligner un fait : Quand la sœur de Ben Laden est décédée des suites d’un cancer aux USA, les Américains ont prélevé et gardé son cerveau selon la presse américaine, alors comment croire que le corps de Ben Laden ne soit pas au moins autopsié ?). Le non respect de la dépouille de Ben Laden révèle que, dans certains cas, malgré la mort de l’ennemi, le combat continu quelque part : « Eviter que sa tombe soit un lieu de pèlerinage » ont affirmé les Américains. Le célèbre poète américain William DOUGLAS s’interrogeait en disant à propos des rapports maître /esclave : « Le maître a-t-il, quelque part, perdu le combat par l’émancipation de l’esclave pour s’acharner sur son corps, ne pouvant plus atteindre son esprit ? ». Dans ce duel à mort, il est frappant de constater que la plus grande démocratie au monde se montra incapable de considérer le corps sans vie de Ben Laden comme celui d’un humain tout court.
De même, les Américains ont officiellement annoncé que c’est grâce à la torture sur un prisonnier de Guantanamo qu’ils ont pu remonter à leur cible ; c’est à la 183ème reprise du supplice de la noyade simulée pratiqué sur cet homme que, selon eux, ce dernier a fini par donner l’information capitale. La torture a déjà été légalisée par Bush dans le Patriot Act et, par ces déclarations officielles, elle se trouve légitimée parce que porteuse de résultats et se révélant efficace. Est-ce un message positif pour le reste du monde ?
En outre, en affirmant officiellement que l’ordre a été de tuer Ben Laden et non de le capturer vivant pour être jugé, son successeur Obama a mis à mal tous les principes de la Cour Pénale Internationale créée, faut-il le rappeler, pour juger les crimes les plus abominables. Mais, il est vrai que les USA, très pragmatiques et tout aussi prévoyants lorsqu’il est question de leurs intérêts, n’en font pas partie signataire, empêchant ainsi la CPI de mettre son nez dans leurs affaires.
Obama a annoncé que « justice a été faite » après l’exécution de Ben Laden, l’Amérique s’est faite justice elle-même. Se faire justice et non pas rendre justice dans le cadre d’une procédure équitable. La justice internationale en prend un sacré coup, elle n’est finalement qu’un masque.
De plus, l’opération de commando menée pour éliminer Ben Laden s’est faite en violant la souveraineté du Pakistan, autrement dit en ne respectant pas le droit international. Le pays le plus puissant pose encore une fois un acte pour le moins négatif, c’est un fait grave qui renvoie encore une fois un message contre-productif en termes de principes de gouvernance. En Côte d’Ivoire, la France en donnant l’assaut sur la présidence ivoirienne a utilisé les mêmes méthodes expéditives et a violé la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Les méthodes font jurisprudence.
« La grandeur d’une démocratie est de traiter par des procédures ordinaires, les crimes les plus abominables » ainsi s’exprimait le juriste Paul Eluart. Or, à la lumière de ces graves évènements, il ressort qu’ont été mis en avant la torture, l’exécution, l’humiliation, la manipulation médiatique, la violence extrême, la violation du droit, le non respect du prisonnier qu’était Gbagbo, le non respect de la dépouille mortelle de Ben Laden.
Au lendemain des évènements du 11 septembre, il est apparu que le but visé par la folie terroriste de Ben Laden était la destruction du système démocratique des nations occidentales, et l’Amérique avait pris l’engagement d’être assez forte pour ne pas être entrainée dans la violence et les dérives. A-t-elle tenu parole ? A-t-elle réussi ?
Ainsi va le monde, en Côte d’Ivoire comme on pourra le constater, la justice est l’affaire des vainqueurs, la « communauté internationale » ne demandera pas à Ouattara de faire juger ceux qui ont tué les trois ministres de Laurent GBAGBO et aussi Ibrahima Coulibaly. Pas plus, pour les 800 morts de Douhokoué décomptés par la Croix Rouge, et les multiples enlèvements quasi quotidiens. Ouattara a créé une commission Dialogue, Réconciliation et Paix. Comme on peut le remarquer, la Justice n’est pas au programme de cette commission. Le boucher de Douhokoué préfère faire sa propre justice partisane déclinée sous la forme de règlement de comptes.
De nos jours, la justice comme la vérité est l’affaire des puissants de ce monde, la parole est certifiée dés qu’elle sort de la bouche des puissants et elle devient douteuse dès qu’elle émane d’ailleurs. En Côte d’Ivoire, la parole de CHOY (plénipotentiaire des puissants) a certifié les élections ivoiriennes, celle de Bush a conclu que l’Irak était une base de Ben Laden, un entrepôt d’armes de destruction massive, et que Saddam devait être exécuté ; celle de Sarkozy a donné un ultimatum à un Chef d’Etat d’un pays souverain pour le dégager ensuite ; et enfin, celle d’Obama a tranché : Ordre de tuer Ben Laden et non pas de le cueillir pour le faire juger.
Les pays dominants, principaux émetteurs de notre consommation médiatique restent au centre des messages diffusés avec leurs passions et toute leur habileté. Nous sommes ainsi entraînés dans un monde plus ou moins fictif. Il est bien loin le temps où Norbert WIENER disait : « la communication rendrait tout transparent et créerait une société nouvelle sans mensonge ni faux semblants. ». Tout ce que nous absorbons quotidiennement comme informations arrivent à nous en imprégner si bien et tellement que nous les répercutons, les copions et les répétons. Si untel ou tel pays est diabolisé, nous nous mettons à notre tour à le diaboliser.
S’informer bien, écouter attentivement un discours politique, analyser au mieux une situation donnée demandent un effort et un esprit critique constamment en éveil. Avons-nous, et en particulier notre jeunesse a-t-elle conscience des ruses du verbe, de l’écrit, de l’image et parfois de l’absence d’image ?
La Rédaction de Zoomtchad