Le Président algérien vient de démissionner sous pression de l’armée . C’est une victoire importante pour les mouvements de révolte, de revendications de millions d’algériens qui ont mené, sans faiblir, des marches de contestations.
C’est vrai qu’Il est difficile de qualifier les mouvements sociaux en France et en Algérie de révolution car dans les deux cas, c’est un processus en cours et qui reste donc inachevé. En outre, la révolution c’est un grand bouleversement, un changement de système, de pouvoir, de légitimité, mais aussi du leader au pouvoir. Dans les deux cas, il y a des velléités révolutionnaires même s’ils restent très différents, on va essayer de les comparer de manière un peu factice.
Les deux mouvements ont agi dans le cadre d’une organisation collective, rejetant quelque part la représentation individuelle.
Aussi bien, en Algérie qu’en France, la contestation a été un mouvement populaire d’ampleur, parfois violent en France mais toujours pacifique et bon enfant en Algérie. Ces mouvements se sont aussi retournés contre le pouvoir et son incarnation, à savoir, le leader en place. Dans les rues d’Alger, dès le début, le départ du Président Bouteflika a été exigé par les manifestants. Il symbolisait un système politique vomi par les citoyens mobilisés qui ne voulaient plus son maintien.
Même si les aspirations révolutionnaires ne sont pas comparables, les gilets jaunes soudés dans leurs revendications ont, eux aussi, demandé le départ de Macron. Ce monarque républicain symbolisait le libéralisme sauvage qui a fermé les usines et jeté de nombreuses personnes au chômage et qui venait par sa politique, en faveur des très riches, d’augmenter la pression fiscale sur la classe moyenne. Cette politique est devenue insupportable pour de nombreux français qui ont largement soutenu les gilets jaunes.
Certes, il est vrai que, c’est parce que le pouvoir français et ses représentants sont restés sourds aux revendications, que les mouvements gilets jaunes sont devenus violents et ont scandé : » Macron démission! »
Dans les deux cas, les colères se cristallisaient autour de la personne du leader, de l’homme fort au pouvoir qui est le symbole de ce que les gens ne voulaient plus .
Très clairement, dans les rues de Paris et d’Alger, les manifestants ont mis en avant ce qu’ils rejetaient, ce qu’ils souhaitaient anéantir.
Force est de faire un constat qui est valable aussi bien dans les mouvements algériens de contestation que pour les gilets jaunes ; ces mouvements où se dégagent des velléités révolutionnaires au sens où la volonté de changer le système existant, par un bouleversement général est clairement affiché. On relève l’absence d’un leadership dans les mouvements gilets jaunes même si plusieurs personnes s’expriment au nom du mouvement. On a bien relevé le souci important de ne pas avoir un leader, un seul, qui porte le combat des gilets jaunes.
Dans ces conditions, est-il possible de mener et de gagner une bataille qui se donne comme objectif de mettre fin à un système politique ?
La même remarque peut être faite en Algérie où le mouvement a évolué et tenu, sans un leader qui l’incarne. Certes, le mouvement s’est organisé, et a manifesté sans aucune violence, il a aussi tenu et a réussi à ébranler par son extraordinaire mobilisation le régime de Bouteflika. Il a aussi inquiété sérieusement l’armée algérienne qui a eu « une grande peur » de voir les choses basculées, dans quelque chose qui mettrait en péril, la stabilité de l’Algérie. C’est la raison pour laquelle, l’urgence était bien là, et, les militaires ont agi rapidement pour reprendre les rennes du pouvoir, pour influer et contrôler la gestion de l’après Bouteflika. L’absence de leader dans les mouvements algériens a permis que le déroulement des manifestations se fasse sans arrestation, par exemple, du leader, s’il y en avait un, car nous sommes dans un régime autoritaire. L’absence de leader a permis de protéger les éventuels chefs de ces mouvements en Algérie à cause justement de la nature répressive du pouvoir. Mais, dans une démocratie comme la France, l’absence de leader résultait d’un refus affiché, assumé et plusieurs fois clamé par les manifestants. .
L’absence d’un leader n’a pas empêché ces différents mouvements de se mobiliser, d’agir, de faire pression et d’obtenir des résultats concrets : retrait total des mesures par exemple, sur les hausses du prix du carburant en France, et en Algérie, sous la forte pression de la rue, le Président Bouteflika a renoncé à sa candidature, puis annoncé sa démission à la fin de son mandat (28 avril 2019) puis précipité sa sortie de la scène politique en démissionnant le 2 avril 2019, même si l’armée a joué un rôle dans cette dernière évolution.
Aujourd’hui, on remarque, en France, l’enlisement du mouvement des gilets jaunes ; faute d’un leader pour diffuser un discours fédérateur, un discours contre la politique libérale et que soit posée clairement une plateforme de revendications. On peut souligner que si ces deux mouvements, à travers, leurs journées insurrectionnelles ont bien crié haut et fort le rejet du système et de la politique menée, il n’en demeure pas moins qu’au-delà de quelques revendications, c’est un grand vide. Une vision claire et précise, définissant, ce que voulaient les manifestants, faisait cruellement défaut et ce fait va, par conséquent, être source de nombreuses difficultés déjà constatées pour les gilets jaunes et à venir pour les mouvements de contestations à Alger. D’autant plus que c’est parfois, quand le système réagit et cherche à écraser des mouvements forts, puissants, populaires que le leader est indispensable, que son absence se fait sentir.
Ainsi, en France, la violence qui s’est développée lors des manifestations des gilets jaunes, n’a pas pu être solutionnée et en définitive, elle a nuit au mouvement par une démobilisation mais aussi par les images d’une capitale ravagée par les casseurs que l’on assimilait aux gilets jaunes. L’absence d’un leader s’est sentie, aussi, dans l’absence de stratégies pour contrer les manœuvres politico-médiatiques lancées par le pouvoir contre le mouvement.
L’absence de leader à la tête des mouvements de revendications va créer des problèmes importants en Algérie où des personnalités politiques vont chercher désormais à se positionner dans la course présidentielle. Quid de leur légitimité ? Les mouvements populaires devront trouver les ressources nécessaires face à la détermination des militaires mais aussi des partis politiques, pour peser de leur poids afin de capitaliser au maximum leur rôle dans la fin de l’ère Bouteflika.
Le rôle des médias est très important dans ce genre d’événements exceptionnels suivis dans le monde entier.
La nature n’aime pas le vide, alors, les médias sont allés chercher, dans le cas des gilets jaunes, des « leaders » car ils n’aiment pas les histoires complexes, difficiles à raconter. Les journalistes ont ainsi déroulé les histoires de nombreux personnages composant les gilets jaunes, mettant en lumière des incohérences, parfois, dans leur discours.
Cela a contribué à porter préjudice au mouvement.
Ce que l’on a noté, de très évident, dans la démarche des gilets jaunes ; c’est le refus d’un leadership qui ait un vrai pouvoir d’engagement, de négociation, de prise de décision, de contrainte. En position de combattre un prince, il n’en voulait pas parmi eux. Ils voulaient des leaders d’organisation, de mobilisation tout simplement. Un tel positionnement ne peut pas aller au bout d’un processus de renversement d’un pouvoir. Est-il étonnant, dés lors, qu’en l’absence, d’une plateforme bien construite pour servir de base de négociations, le pouvoir a proposé et lancé le grand débat national.
C’était une manœuvre, un moyen de noyer le mouvement, de diluer les revendications des gilets jaunes tout en reprenant la main sur le plan médiatique en diffusion pendant de longues heures, le show en direct de Macron. .
Si nous convoquons l’histoire des révolutions qui ont abouti au renversement de régimes existants; elles ont été menées avec des figures emblématiques, qui ont organisé, défini une vision et porté la révolution (Lénine, Mao). Il en a aussi été ainsi dans les grands mouvements d’émancipation et de défense comme les droits civiques des Noirs aux USA (Martin Luther King), la décolonisation en Inde par Gandhi. .
La question du leadership va se poser très rapidement en Algérie où les enjeux autour de la gestion de l’Apres Bouteflika et du pouvoir vont opposer inévitablement les militaires, les mouvements citoyens et la classe politique algérienne. En France, Emmanuel Macron en essayant de noyer les gilets jaunes dans un débat sans fin, a fini par couler lui aussi. Incapable de sortir la tête de l’eau, de reprendre le cours des activités normales de son mandat ; Il tâtonne et cherche toujours la porte de sortie.
L’importante crise politico-socio-économique a montré et démontré les limites d’un profil qui n’a jamais réellement fait de la politique au sens où il ne peut se prévaloir d’un militantisme dans un parti politique ou d’une expérience sur le terrain, en contact avec les citoyens, partageant et connaissant la réalité de leur vécu quotidien et leurs priorités. Cette surdité à l’égard des gilets jaunes malgré 20 semaines de manifestations, de violences, l’a conduit à refuser catégoriquement de les recevoir, de parler avec eux. Une incroyable cécité politique pour un monarque républicain, un prince faisant face aux journées insurrectionnelles et populaires, dans une grande solitude. Chaque samedi, il était plus seul et isolé. Quoi d’étonnant alors, que les gilets jaunes se sont mis dans une position de dé-légitimation de son pouvoir, en cherchant la confrontation directe avec lui.
S’il est vrai qu’on ne peut pas faire une révolution sans peuple, on ne peut pas non plus réussir à changer un système politique sans leader. Seul un leader peut définir une vision, des objectifs, une feuille de route, mobiliser des hommes pour construire et réussir ce changement.
Seul un leader peut élaborer des stratégies en réponse à des actes d’anéantissement du mouvement de contestation, c’est avec son engagement qu’il analysera l’évolution du conflit et prendra des décisions dans l’intérêt de tous.
C’est tellement vrai que, pour stopper un processus populaire de changement de régime, de mise à terre d’un système politique, on a toujours cherché à atteindre la cible principale, considérée comme indispensable au mouvement de contestation, c’est -à-dire, le leader. Pour ce faire, différents moyens très sophistiqués sont utilisés: la division et la scission du mouvement avec comme conséquence l’affaiblissement de la contestation. La trahison d’un ou plusieurs membres dans le pré carré du leader, l’assassinat ou encore l’organisation d’un complot pour emprisonner le leader en utilisant des instruments mis en place pour cela, comme de nos jours, la justice pénale internationale.
Par Mme Fatimé Raymonne Habré
Cette chronique a été publiée ce jour 06 avril 2019 par le journal Dakartimes