L’équipe de Zoomtchad a été très intéressée par la démarche de ce compatriote qui s’inscrit vraiment dans notre souhait d’échanges avec tous sur des sujets autres que la politique.
C’est vraiment une question importante pour ceux qui vivent en Europe ou ailleurs et qui ont fondé une famille.
Constatons quelque chose de très important : La question d’assister à l’accouchement pour un homme est presque un non sens au Tchad, il ne viendrait à personne d’émettre une telle idée. C’est totalement impensable.
Dans nos sociétés, le moment de l’accouchement est un moment crucial pour une femme dans la mesure où elle fera face à une épreuve dans son intimité la plus totale, et il est tout à fait impensable que son époux y assiste. L’éducation, la pudeur, la douleur, et la gestion de la souffrance font que l’accouchement est un moment extraordinaire mais peut être aussi une épreuve très difficile. Dans nos sociétés, ce sont des moments qui appartiennent exclusivement aux femmes, parentes proches et par hypothèse expérimentées, ce sont elles qui assistent la femme qui accouche en étant à ses côtés. Les Livres Saints ont tous affirmé « Tu enfanteras dans la douleur » ce qui nous permet de souligner que la gestion de la douleur, son acceptation ou non, la nécessité d’y faire face en silence ou en pleurs, selon les sociétés, contribue à ce qu’un homme laisse sa compagne gérer dans la discrétion familiale et féminine ces instants.
La femme accouche dans un espace clos, protégé et, très souvent, en tout cas au Tchad, une grand-mère lit des versets du Coran, et/ou bien, on brûle de l’encens ou d’autres plantes. Au Maghreb, on jette du sel dans la pièce ainsi que du henné pour purifier l’espace, éloigner les démons (les produits désinfectants utilisés pour sécuriser la salle d’accouchement aujourd’hui reviennent à la même idée). La naissance est un moment où le magique, le rituel, le religieux et le savoir technique, la science sont convoyés pour permettre l’arrivée sur terre d’un être humain. Parmi les rituels, au Tchad, dans certaines ethnies, une fois l’enfant récupéré, le placenta est considéré comme quelque chose de précieux qu’il fallait honorer ; dans les maternités, les femmes arrivaient avec un seau pour le récupérer, ensuite dans un coin de la cour du domicile conjugal, on l’enterrait et on semait quelques grains de mil ou bien on faisait pousser une plante, on l’arrose, car on lui confère des vertus fertilisantes; il nourrira la terre comme il a nourri l’enfant. Une deuxième vie en somme. De nos jours, la conception qui veut que le placenta est un déchet et doit être incinéré s’impose de plus en plus dans les maternités. C’est dommage !
Ajoutons que l’éducation donnée aux jeunes garçons dans nos sociétés ne les prépare en aucun cas à subir l’épreuve d’un accouchement, l’épreuve du sang et tout ce qui s’ensuit peuvent créer un véritable choc, voire un traumatisme. En Europe, certains l’ont essayé, cela s’est très mal passé, des jours entiers, ils ont revu en boucle ce qu’ils ont appelé les images chocs ; certains se sont même évanouis, d’autres enfin n’ont pas osé parler de leurs émotions et ont eu du mal à reprendre une vie familiale normale. Enfin, tous ceux qu’on a interrogés ont déclaré qu’ils ne recommenceraient plus jamais.
Il est vrai qu’un effet de mode et de transposition de tout ce qui se fait outre-Atlantique, largement véhiculé par les magazines féminins, a presque forcé les hommes à assister à l’accouchement. On est allé jusqu’à filmer la séance pour l’immortaliser. Il fallait que les hommes soutiennent leurs épouses dans cette épreuve difficile, nous a-t-on répété sur tous les tons.
Il s’agit pour nous de conseiller aux Tchadiens de ne pas assister à l’accouchement de leur épouse et ce n’est pas un abandon de celle-ci ; c’est que tout simplement que leur place n’est pas là, à cet instant précis. S’il y a une parente, elle sera là, sinon, ce n’est pas grave, laissez les sages femmes faire leur travail, vous serez là après. Il est parfois difficile d’expliciter comment des conduites, des comportements, des principes sont autant de pièces d’un grand puzzle, qui doivent s’imbriquer pour former un tout et constituer notre background culturel qui fait que de nous ce que nous sommes. Faisons confiance et défendons notre organisation sociale, synonyme d’équilibre et d’harmonie dans ce cas précis en tout cas.
Dans nos sociétés, le rituel dégagé des manifestations du corps pose des rapports entre les sexes (le pouvoir de donner la vie appartient aux femmes), un à un ces rituels constituent des repères identitaires fondamentaux. Dans beaucoup de sociétés africaines tout ce qui touche la sexualité et la reproduction est délicat à exprimer librement, aussi on a recours aux danses, à la musique, rien n’est dit, tout est mimé et ainsi le tabou est en quelque sorte désamorcé sans que l’interdit soit transgressé. C’est ainsi que l’initiation des jeunes filles à la sexualité mais aussi à la maternité se déroule.
La gestion de l’accouchement des femmes noires africaines en France a posé beaucoup de difficultés, d’opposition entre les équipes dans les maternités et les familles ; une sage femme veut faire entrer l’époux, sa femme s’y oppose catégoriquement, ou encore, on refuse l’entrée dans la salle à la maman de l’accouchée pour autoriser l’époux qui fera face à une vive opposition de la mère. On constate donc que si l’accouchement en lui-même se passe en général très bien, ce sont les particularismes propres aux pratiques des sociétés africaines méconnues par les équipes dans les maternités qui sont à l’origine d’un climat peu serein et qui ont obligé parfois à pratiquer des césariennes .
Pour terminer, quelques mots sur les sages femmes et surtout les matrones qui jouent un rôle déterminant dans la mesure où au Tchad selon les Nations Unies, seules 3 femmes sur 10 accouchent en milieu hospitalier, d’où le rôle important joué par les matrones. Celle-ci est une femme mûre, expérimentée, une « bonne mère », plus qu’un métier, c’était une vocation. Une matrone, une sage femme et une mère ont besoin de faire connaissance, de partager savoirs et émotions pour créer l’essentiel face à l’épreuve, le lien de confiance indispensable quand on assume seule la responsabilité de l’accouchement sans bénéficier du soutien de toute une équipe multidisciplinaire dans le cas de la matrone.
Ce sujet nous permet de rendre hommage à une sage femme-matrone tchadienne, décédée récemment, Hadjé Marguerite Mani. En 1988, elle était à 1045 accouchements, dont une grande partie réalisés à domicile. Elle a accompagné les femmes de la capitale issues de tous les milieux, épouses de hauts responsables, d’hommes d’affaires, de fonctionnaires, tout comme épouses de militaires, mais aussi de combattants, de modestes citoyennes, etc . Sa formidable expérience et sa compétence lui ont permis de faire évacuer en milieu hospitalier quand un accouchement à domicile n’était pas recommandé mais aussi de prodiguer conseils en termes de suivi médical etc. Avec doigté et fermeté, elle a su s’adapter aux particularismes propres aux différentes communautés, conjuguer et collaborer avec la famille pour instaurer la confiance et guider la jeune maman mais en ayant comme seule préoccupation la santé de la mère et de l’enfant. Que de savoirs et d’expériences perdus et non exploités par ceux qui s’occupent de la santé maternelle , alors qu’ils devaient emmener ces sage femmes-matrones dans les écoles de formation des sages femmes pour un échange sur leurs expériences, sur les particularismes ethniques (car ils se posent chez nous aussi). L’accueil dans les maternités laisse, parfois, à désirer ; ce qui explique pourquoi beaucoup de femmes préfèrent accoucher à domicile. Citons le cas des femmes excisées dont le nombre ne baisse pas, bien au contraire, et les graves complications au moment des accouchements nécessitant une assistance spéciale. Ainsi, parfois, en raison de liens qui les unissent aux familles, elles sont appelées pour porter secours en cas d’une excision mal faite. Porter secours mais éviter de médicaliser l’acte d’excision, car ce serait travailler pour sa continuité. A travers ces quelques exemples, on peut mesurer l’importance de leurs interventions dans la prise en charge de la santé maternelle.
Hadjé Marguerite Mani méritait une médaille même à titre posthume puisque personne n’y a pensé de son vivant. La CARMMA (la Campagne pour l’accélération de la réduction de la mortalité maternelle) dirigée par une sage femme en l’occurrence Mme Achta TONE devrait le faire. Si la politique consiste en la volonté de prendre en compte les aspirations des populations et à rendre hommage à ceux et celles qui les ont servis, alors oui ! Hadjé Marguerite Mani devrait être distinguée et le travail de toutes les autres mieux valorisé et reconnu.
La rédaction de Zoomtchad.