L’expédition militaire tchadienne fait couler beaucoup d’encre et de salive. Normal, car, elle a fait d’ores et déjà, beaucoup de morts, de blessés et, conséquemment beaucoup de veuves et d’orphelins. Comme souvent dans ce genre de situation, les positions des uns (les laudateurs de la « bravoure des soldats tchadiens») et des autres (les critiques de « l’aventure armée »), en passant par les « flottants » et la « majorité silencieuse », divergent lourdement. Toutefois, on peut, sans aucun parti pris, dégager les grandes tendances de l’opinion des Tchadiens tant de l’intérieur que de l’extérieur.
Au niveau des Officiels, des partisans du régime et des partis politiques de l’opposition légaliste, c’est l’unanimité applaudissante et va-t-en guerre. De manifestations officielles publiques où alternent discours, coups de gueule, danses et même un morceau de bravade aussi dithyrambique à l’endroit des guerriers tchadiens qu’offensante vis-à-vis des Ouest-africains ; une pièce qui a tout d’une poésie de foire, et, tenez-vous bien, lue par Hinda Deby avec trémolo et trémoussement. Du côté des partis politiques, leur porte-parole du jour, Saleh Kebzabo, s’est découvert à l’occasion une vocation de harki baroudeur appelant à une guerre sans merci. Sacré Kebzabo, après son inoubliable « OYE Kadhafi !), le re-voilà, en transe verbale, jouant la danse du ventre sous les ailes de Idriss Deby aux anges, riant aux éclats, toutes dents dehors. Aux dernières nouvelles, il se serait envolé pour Niamey (Niger) en vue de porter la bonne parole aux soldats, et peut-être, en retour, il lui sera rendu l’honneur d’une revue de troupes! Avec un peu de courage, du côté de Tessalit, sur le front, s’il vous plait !
En ce qui concerne la majorité silencieuse, des parents proches et lointains, des amis et connaissances des garçons envoyés dans le nord malien des sables et des cailloux, des « hommes bleus » et des barbus venus d’Algérie et d’ailleurs, l’atmosphère est au deuil, à la colère contenue et à la résignation muette. Encore que la radio trottoir bruit d’une rencontre secrète entre Deby et une délégation des parents des victimes zaghawa qui auraient vertement exprimé leur mécontentement et demandé le rapatriement des leurs encore vivants, avant que d’autres mauvaises nouvelles parviennent à leurs oreilles constamment aux aguets. Le Président, non moins Sultan, aurait tenté de les calmer et surtout, comme à son habitude, il aurait fait miroiter des milliards, en précisant que cela se fera dans le plus grand secret afin d’éviter que l’opinion en soit outrée.
Quant à la diaspora tchadienne, il suffit de faire un petit voyage à travers la toile pour avoir un aperçu de leur position. A part, quelques rares exceptions, elle est hostile à l’intervention tchadienne au Mali. Mais, paradoxalement, les individualités les plus en vue, du moins au plan médiatique, ont choisi l’état d’« abonnés absents ». Frilosité, profil lisse, calculs politiciens, opportunisme, décidemment les figures de Fidel Moungar, Youssouf Saleh Abbas et autres Dr Nahor sont plus nombreux qu’on le croit. Ils évitent soigneusement de prendre position sur les sujets de première importance, mais susceptibles de « brûler les doigts » et/ou compromettre un plan de carrière politique.
Abordons maintenant la problématique de l’envoi des forces tchadiennes au Mali quant à son bien ou mal fondé. Notons de prime abord que la guerre est une question gravissime qu’aucun Etat sérieux et responsable se décide d’entreprendre sans être en mesure d’en justifier le bien fondé, notamment l’identification précise et claire des intérêts nationaux supérieurs en jeu. La France, par exemple, contrairement à ce qu’on laisse croire, a étudié et planifié de longue date (au moins un an) son intervention fondée sur ses intérêts géostratégiques et économiques, évidents aux yeux de tous ceux qui s’intéressent aux affaires internationales, plus précisément à la politique française en Afrique francophone, en particulier en ce qui concerne ses anciennes colonies. Qu’en est-il du Tchad, sous ce regard d’intérêts nationaux supérieurs à défendre ? Considérons les faits :
PREMIEREMENT: Le Tchad est à un peu plus de 2.000 kms du Mali. Il ne partage aucune frontière avec lui et n’appartient pas à la sous-région Afrique de l’Ouest.
DEUXIEMEMENT: Les relations d’ordre économique, commercial et financier entre les deux pays sont quasiment nulles.
TROISIEMEMENT : L’Algérie et la Mauritanie, directement et intimement concernés par ce qui se passe chez leur voisin et, de ce fait, subissent de dommages certains, ont pourtant clairement et officiellement annoncé leur refus de prendre part à cette guerre.
QUATRIEMEMENT : La menace d’Aqmi et autres Mujao, brandie à tort et travers, n’est pas crédible ; les intérêts du Tchadiens ne sont, où que ce soit, soumis à leur menace. C’est plutôt du côté des frontières avec le Nigéria, le Cameroun et le Soudan que le Tchad doit prioritairement regarder. Mais, est-ce réellement le fanatisme salafiste représente une sérieuse préoccupation pour le régime Deby ? N’est-ce pas c’est ce dernier qui a amené dans ses valises, depuis le Soudan, une cohorte de fondamentalistes qui se donnent à un travail méthodique et efficace d’endoctrinement et de lavage de cerveaux ? N’est-ce pas encore lui qui a laissé s’installer au Tchad de militants excessivement zélés de la foi, entre autres, Pakistanais et Egyptiens ? Sous quel régime, si ce n’est celui de Deby, la burka et autres symboles dits islamiques ont fait leur apparition, se sont propagés dans tous les coins et recoins du pays ? Aujourd’hui, les jeunes filles, pour aller au marché, se sentent obligées de porter une « tenue islamique » de crainte d’essuyer insultes, injures, crachats, voire agression physique. Les écoles coraniques où est pratiqué l’enseignement des recettes de l’extrémisme salafiste sont légion. S’étonnerait-on donc que le premier chef de Boko Haram, Cheikh Youssouf, fût un Tchadien qui a appris ses alphabets dans son pays !
CINQUIEMEMENT : La solidarité africaine, autre prétexte à l’aventure militaire, constitue elle aussi, un slogan creux sans réel contenu. Demandez l’avis de nos étudiants, commerçants, travailleurs qui parcourent le Continent ; celui aussi des réfugiés tchadiens, de plus en plus nombreux. Cette prétendue solidarité, on ne la remarque même pas chez nos voisins immédiats. Ce sont plus plutôt les actes d’humiliation, de vandalisme, de maltraitance, voire les arrestations arbitraires qui marquent leur court ou long séjour. Autre niveau de solidarité: L’Union Africaine et les Organisations sous-régionales sont, quant à elles, engluées dans des contradictions qui minent leurs initiatives ; elles sont parasitées par les ingérences des grandes puissances, et de ce fait, parviennent à peine de remplir les simples missions d’alerte, d’épouvantail, de lobbying, d’arbitrage ou de conciliation. Le désastre malien a, une fois de plus, montré leurs limites à donner un sens ou un contenu concret à la solidarité africaine. Trop bavardes, bureaucratiques, budgétivores mais toujours en manque de moyens, elles représentent, pour l’heure et au mieux, un idéal à réaliser par les générations futures ; générations radicalement différentes des dirigeants actuels par leur profil, leur vision de l’Afrique et du monde, leur mode de gouvernance et par la nature des rapports qu’ils auront à entretenir avec les pays développés, en particulier avec les anciennes puissances coloniales. L’exemple pitoyable et piteux qu’offre la CEDEAO appelée au chevet d’un de ses membres gravement malade devrait finir par dépiter les plus optimistes. Aussi, les Autorités tchadiennes sont mal fondées à clamer tous azimuts cette fausse solidarité africaine comme une des raisons justifiant leur intrusion irresponsable dans l’imbroglio malien.
Mais alors, par quels arguments pertinents pourrait-on soutenir l’engagement du Tchad, si coûteux en vies humaines, en matériels, en argent, et vraisemblablement préjudiciable sur le plan diplomatique, notamment par rapport aux relations du pays avec le monde arabe qui, bien qu’opposé au terrorisme, a une lecture différente de la problématique malienne. Il y a, dit-on, à la base du drame malien, les revendications touareg, vieilles de plusieurs décennies ; le terrorisme et le trafic de drogues sont venus s’y superposer et s’y mélanger, avec des complicités aux niveaux les plus élevés du régime Toumani Touré. Par ailleurs, les pays arabes, mais aussi beaucoup de musulmans de par le monde sont offusqués, blessés dans leurs sentiments de croyants que les Officiels tchadiens, à leur tête le Chef de l’Etat, se réjouissent bruyamment et publiquement d’avoir tué des êtres humains et de s’en glorifier. En Islam, un tel comportement est hautement détesté pour dire le moins. On laisse dire aussi que Deby s’est laissé instrumentaliser pour servir un agenda caché de la France.
En réalité, la bonne réponse au pourquoi de l’intervention armée tchadienne au Mali ne peut que se trouver hors du champ des préoccupations et soucis d’un Pouvoir vertueux veillant sur les intérieurs supérieurs d’une Nation. Idriss Deby a agi uniquement pour ses propres intérêts.
Sa première préoccupation était de faire un grand geste en direction de l’Elysée où il est très mal apprécié. A juste titre. En effet, orphelin de Kadhafi et aussi d’une certaine manière de Sarkozy, considéré infréquentable à Washington, plus que boudé d’Obama, sachant bien que ses pairs africains aiment ses pétrodollars mais ont peu de considération pour lui, il se sent isolé et frustré ; d’autant plus que les Tchadiens le honnissent plus que jamais. Dès lors, si le coup de feu au Mali pourrait lui attirer, évidemment pas la sympathie, mais l’indulgence de François Hollande, alors il n’y a pas lieu d’hésiter.
Le drame de la dictature, dit-on, c’est qu’elle donne toute licence au mégalomane d’aller jusqu’au bout de sa mégalomanie, c’est-à-dire, la surestimation de soi, le désir excessif de puissance et de gloire, bref un délire de grandeur avec des comportements incohérents, autrement dit une sorte de folie. Dans sa pratique du pouvoir, dans l’administration des hommes et la gestion des choses, Idriss Deby donne quotidiennement les signes d’une mégalomanie aggravée. Son pouvoir est absolu, ses ordres sont tyranniques, ses décisions sont chaotiques, ses besoins en toute chose, en particulier en argent et en titres sont boulimiques. Estimant que la dignité de Président de la République et ses nombreux autres titres ne suffisaient pas à sa personne, il inventa pour se l’octroyer, une couronne de Sultanat de Dar Bilia. Envoyer dans le désert montagneux du nord-Mali deux mille hommes surarmés, dotés d’une logistique considérable, dépenser des milliards de FCFA pour le plaisir de damer le pion aux Etats de la CEDEAO et envoyer un signal sonore à l’Afrique et au monde pour leur signifier que l’Armée tchadienne est « la plus puissante », que les « guerriers » tchadiens sont « les plus braves » de toutes les armées africaines, en voilà qui doit donner la mesure de la folie de ce semi-analphabète qui trône à la tête du pauvre Tchad dont la population manque d’eau potable, de soins de base, d’électricité, etc… Un pays que les statistiques mesurant le degré de développement établies par les Organisations internationales, placent en queue de classement dans tous les domaines.
SIXIEMEMENT : L’argent, encore et toujours l’argent. Deby entretient une relation d’adoration passionnée avec les sous. C’est vrai qu’il en dépense sans compter pour le clinquant, le brillant et l’innommable (pudeur oblige), sans compter ses besoins au titre de la corruption tous azimuts. Au Congo-Brazzaville, au Congo-Zaïre et en Centrafrique où des centaines de fils du Tchad ont laissé leur vie, la motivation première était le gain financier (en liquides ou en diamants). Même pour ce qui est de l’opération Mali, l’aspect financier n’est pas absent. N’a-t-il pas, lors du récent Sommet de la CEDEAO tenu à Abidjan, interpellé Alassane Ouattara, en des termes peu diplomatiques, pour réclamer sa part du magot !
ENFIN, au terme de ces réflexions, il est permis d’affirmer sans hésiter que l’intrusion de Deby dans l’imbroglio malien par l’envoi de l’important contingent des forces armées tchadiennes, relève sans conteste, d’une aventure désastreuse dont le Tchad subira, tôt ou tard, les effets de retour de boumerang. Que ce soit sous la forme d’une vengeance des djihadistes et/ou en termes de co-responsabilité dans la division du Mali sous une forme ou une autre. Sur ce dernier point, les puissances occidentales, la France au premier plan, ont leur plan établi de longue date. En effet, le territoire désormais connu sous le nom d’AZAWAD, riche en gaz, uranium, pétrole et autres minerais prisés sur le marché international, l’AZAWAD donc, est promis, sauf imprévu (car, dans ce genre de situation, ce qui est programmé par les grandes puissances pourrait ne pas se réaliser, comme ce fut le cas du nord tchadien gravement menacé d’annexion par Kadhafi avec la bienveillance de Mitterrand) au destin d’une entité d’abord autonome et ensuite indépendante. Une grande société comme Areva et l’Etat Qatari, entre autres, travailleraient depuis plusieurs années dans cette perspective. Encore une fois le Tchad n’a pas sa place dans cette arène des ogres.
Dès lors, s’agiter fébrilement à longueur de clameurs idiotes à vouloir faire passer la mission de mercenariat abjecte pour une cause noble relève tout simplement de la haute trahison. ADJALA ! ADJALA ! QUE LES ENFANTS DU TCHAD RENTRENT AU PAYS !
Mustapha Brahim KHALIL