Deby a récemment déclaré au sujet de la présence militaire française que « l’opération Epervier ne jouait plus son rôle et que si la France qui entraine ses hommes et ses avions souhaitait s’y maintenir, elle devait payer…. ». Ce à quoi les Autorités françaises ont répondu qu’elles étaient prêtes à examiner les demandes de DEBY.
Une façon de dire que celles-ci n’ont pas encore été formulées ni officiellement, ni officieusement, si tant est qu’elles existent.
Faut-il prendre au sérieux la sortie de Deby ? Certainement pas, il est évident qu’aucune réflexion sérieuse n’a été amorcée au sein de l’équipe gouvernementale tchadienne sur les conditions d’un maintien ou non du dispositif Epervier.
En 1960, la France pour perpétuer le pacte colonial signe des accords de défense (RCA, Cote d’Ivoire, Gabon) d’une part, des accords de coopération en matière de défense avec le Togo, le Cameroun, Djibouti, un pacte plus léger avec le Sénégal et Comores d’autre part, et enfin, 16 autres pays d’Afrique subsaharienne ratifient des accords de coopération militaire. Ces instruments présentaient quelques avantages car synonymes de dons d’équipements militaires et d’assistance en matière d’instruction de la gendarmerie. La France les a utilisés très efficacement pour pénétrer les anciennes colonies belges qu’étaient le Rwanda, le Burundi et le Zaïre.
Dans cette panoplie d’accords, seuls les accords de défense stipulaient dans des clauses secrètes, un devoir d’intervention de la France en cas de troubles intérieurs. Dans la pratique, la puissance protectrice se réservait seule le droit d’apprécier, selon ses intérêts, chaque situation et finalement d’agir « à la carte ».
Par ce jeu de subtilités, l’Afrique demeurant toujours sous le casque colonial et la présence de militaires français constituait un élément clé du bouclier français. La France, gendarme de l’Afrique, entre 1960 et 1990, 79 coups de force ont réussi en Afrique, pendant la guerre froide où les rivalités EST-OUEST ont entrainé les Africains dans des guerres de substitution.
Courant la même période de la guerre froide, près de 10.000 éléments des forces françaises campaient dans plusieurs pays : Sénégal, Côte d’Ivoire, Tchad, RCA, Gabon, Djibouti, sans compter les expéditions ponctuelles diverses comme au Congo, ex-Zaïre. L’ensemble de ces installations militaires sauf celle de Bouar, sont établies dans la capitale du pays concerné et sont accolées à l’aéroport afin d’en assurer le contrôle pour agir contre un coup de force (cas du Tchad, combats de militaires français en 2008 contre les rebelles tchadiens pour empêcher la prise de l’aéroport, acheminement de renforts, de munitions et approvisionnement en carburant pour les aéronefs d’attaque et de soutien logistique) ou pour organiser un putsch (cas de la RCA).
Les implantations militaires avaient un statut juridique de « base » sauf au Sénégal et au Tchad. Au Sénégal, en 1974, ce sont les Autorités sénégalaises qui ont souhaité que le statut de « base » soit modifié « en facilités accordées » à la France. A Ndjamena l’opération Epervier faisant suite, en 1986, à trois précédentes opérations, n’est pas, juridiquement parlant, une base mais est assimilée de facto à une base permanente.
On aura tous compris à quoi servait réellement le positionnement de ces forces (voir par ailleurs notre article sur le livre de la journaliste de RFI Sonia Rolley, seconde partie où cette question est aussi traitée).
De plus, a-t-on jamais dressé un bilan de cette coopération militaire, de cette assistance multiforme, tant en ce qui concerne la stabilité politique des régimes, mais aussi leur évolution positive ou négative sur les questions cruciales comme l’unité nationale, les droits de l’homme, la bonne gouvernance, et pourquoi pas le progrès économique ; sans oublier, bien sûr, l’impact et l’efficacité de l’instruction fournie aux troupes locales, notamment les gendarmeries ; autrement dit, dans quel état sont les armées de tous ces pays abritant des bases militaires françaises et liés à la France par des accords militaires et ce depuis 50 ans ? Quel a été l’apport réel, si apport il y a, pour la construction d’armées républicaines selon la formule consacrée ?
Le tableau est bien sombre, RCA, Tchad, Etats croupions en proie à l’instabilité chronique, à la criminalisation ; des Etats, entrepôts à ciel ouvert pour les entreprises françaises, plongés dans un cirque démocratique meurtrier. C’est le cas, entre autres, de la Côte d’Ivoire complètement déstabilisée et bloquée par la France à cause de la remise en question de ses intérêts économiques ; du Gabon, poule aux œufs d’or et pavillon de complaisance au service de la France où le sous-développement chronique règne comme seconde nature en dépit de l’immensité des ressources naturelles et autres atouts que recèle ce pays. La situation de Djibouti est plutôt mitigée à cause de l’orientation politique proche du monde arabe et de l’arrivée des américains dans ce pays.
Force est de constater que même en matière de formation militaire, la situation est peu reluisante sinon catastrophique, à considérer à titre d’exemple, les événements politiques dans 4 pays : le Tchad, la Côte d’Ivoire, la République Centrafricaine et le Congo ont démontré que les armées dont les cadres ont été formés à Saint CYR et, sur le champ, encore encadrés par les coopérants militaires français se sont toutes écroulées sous les coups portés par des rebelles ou de forces paramilitaires « inorganisées » selon le jargon militaire.
Par rapport à la question des droits de l’homme, on reproche aux armées africaines d’être impliquées dans des crimes de guerre. Il serait juste de rappeler que dès 1960, la fonction sécuritaire au niveau des Etats africains, a été confiée aux assistants français à charge pour eux de mettre au pas toutes les velléités de rébellion, n’oublions pas le contexte de revendication d’indépendance dans beaucoup de pays africains. Ce n’est pas un hasard si de nombreux leaders africains ont été liquidés par les réseaux Foccart à cette période grâce aux militaires et autres barbouzes français à la tête des différents services de police et de gendarmerie. En ce qui concerne le Tchad, le commandant Galopin et le colonel Camille Gourvennec ont joué ces tristes rôles, torturant et exécutant tous ceux qui dérangeaient le régime de Tombalbaye.
Selon les situations politiques, des interventions militaires françaises ont eu lieu au Zaire sur Kolwezi, au Gabon à Port Gentil, et incontestablement, la palme d’or revient au Tchad où on peut compter 4 grosses opérations militaires et un nombre incalculable d’autres interventions. Au Rwanda, l’implication des militaires français dans la préparation, l’exécution du génocide des Tutsi mais aussi le sauvetage des génocidaires a définitivement édifié l’opinion internationale sur plusieurs points. Tout d’abord, l’armée française est une armée d’un pays démocratique, donc en théorie imprégnée des valeurs de justice et respectueuses des droits de l’homme. Or, cette armée, pour défendre les intérêts de son pays, a franchi toutes les limites et a activement aidé à la commission en plein 20 ième siècle d’un génocide. Bien sûr, ces pages sombres et peu glorieuses de la « coopération militaire » seront oubliées dans les manuels d’histoire, comme, ont été effacées à jamais celles de l’histoire coloniale.
On comprend aisément que le traumatisme du Rwanda ait suscité une volonté chez les hommes politiques de l’hexagone de revoir et de renégocier, pays par pays, l’ensemble de ces accords. En outre, de plus en plus de rapports sur les forces françaises à l’étranger soulignaient les graves dérapages, très tôt le chercheur Jean François BAYARD avait écrit dans un rapport commandé par l’Union Européenne intitulé « La criminalisation en Afrique Subsharienne » « nos forces armées à l’étranger sont impliqués dans la consommation et de trafic de stupéfiants (Tchad, Djibouti) et dans la fraude du diamant (RCA).
C’est ainsi que Mitterrand, Chirac, Balladur, De Villepin, Sarkozy tous ont souhaité un reformatage de la présence militaire française sans pour autant y aller franchement. La révision des différents types d’accords de coopération implique t-elle une démilitarisation de la coopération française ou suppose – t-elle simplement de revoir à la baisse le rôle de gendarme de l’Afrique ? Epineuse interrogation qui n’a toujours pas trouvé de réponse tant les hommes politiques et les militaires sont divisés sur les conséquences désastreuses, mais aussi sur la quasi impossibilité d’un retour après un départ, risque de voir d’autres prendre la place. L’ancien chef d’état major le général Henri BENTEGEAT estimait que « la révision des accords de défense provoquerait des dégâts complexes et plus d’inconvénients que d’avantages et qu’il était préférable de laisser les choses en l’état ». Quant aux experts, ils estiment que « les accords de coopération sont bétonnés juridiquement pour ne pas être contraignants et de plus, ils peuvent être suspendus selon les circonstances, la France étant gagnante à tous les coups pourquoi tout chambouler ?».
A partir du 11 septembre 2001, l’Afrique va constituer un des théâtres de la guerre anti terroriste engagée par les Américains, le général Charles WALD, membre de l’état-major du commandement Europe de l’armée américaine a expliqué à la presse en 2004 qu’« AL Qaida vise à s’établir dans la partie nord de l’Afrique, au Sahel, au Maghreb et dans la corne de l’Afrique ».
En raison de cette menace, Washington a établi 2.000 soldats à Djibouti pour sécuriser la corne de l’Afrique. Puis ce fut l’initiative Pan SAHEL lancée par les USA « pour contrôler les frontières, les mouvements de personnes et la lutte contre le terrorisme » et ce, en collaboration avec 8 pays africains. Cette initiative prévoit l’implantation de mini bases avancées pouvant permettre des interventions des forces spéciales américaines. Les Américains voulaient même implanter une grande base dans le golfe de Guinée pour sécuriser leur approvisionnement pétrolier. Un moment, on a évoqué Sao Tomé et Principe et même le Gabon.
L’activisme américain mit, comme il fallait s’y attendre, les autorités françaises sous pression. Les Américains en s’installant à DJIBOUTI ont proposé aux Autorités du pays de leur louer la base, autant dire qu’une bombe venait, en quelque sorte, d’exploser au dessus de la tête des Djiboutiens qui se sont tournés, immédiatement, vers les Français et ont exigé le versement d’un loyer. Ce qui fut fait et il s’élevait en 2002 à 35 millions d’euros par an.
Traditionnellement, les forces françaises étaient « accueillies » en vertu des accords d’assistance militaire sans devoir s’acquitter d’un loyer. Djibouti venait de créer un précédent. Logiquement, la France aurait pu enclencher en ce moment le processus de renégociation. Seulement les américains étaient trop actifs et il ne fallait pas donner, du côté français, l’impression de vouloir démolir « une œuvre » du passé et surtout laisser la place aux américains. Ce sont les événements de la Côte d’ivoire en 2005, où à cette occasion, la base militaire française est devenue un point focal de la crise, qui incitèrent Chirac à remettre la question sur le tapis, en évoquant la possibilité d’un retrait en disant « que les forces françaises ne resteront que là où les gouvernements africains le demandent.. »
Bongo réplique que la France est liée au Gabon par des accords de défense en cas de d’agression extérieure mais aussi en cas de troubles intérieurs, dès lors, la France est tenue de respecter ses engagements.
Par la suite, quelques mois à peine, un détachement des forces de l’OTAN, la RESPONSE FORCE souhaita passer un séjour en Mauritanie pour effectuer des entrainements sur milieu. Les Autorités mauritaniennes donnent leur accord mais la France s’y oppose vigoureusement.
Déjà, passablement irrités par l’initiative PAN SAHEL, les Français voient derrière cet exercice militaire, « une manœuvre politique américaine pour une démonstration politique dans la région, la France n’y voit aucun intérêt ». L’intrusion des GI’S dans le désert sahélo saharien est vécu comme « une gifle » voire « un revers » par les milieux militaires français.
Face à cette rivalité, la France est prête à verser un loyer, d’autant plus que désormais, face aux menaces de toutes sortes, la levée d’une armée africaine, sous-traitante pour défendre ses intérêts économiques et prendre les sales coups au besoin, est déjà bouclée grâce à l’appui de l’Union africaine.
La renégociation des accords de coopération militaire avec le Tchad est prévue pour la fin de l’année. Idriss Deby est,en ce moment, en pleine euphorie, il communique à tout va, discours, meeting, conférence de presse, interviews. Pour sa cellule de communication, il occupe le terrain, prend des initiatives et c’est dans cette envolée que la question de la présence militaire française a été évoquée. Elle s’inscrit dans un environnement politique apaisée avec des relations normalisées avec le Soudan, moins stressant aussi avec l’expulsion des chefs rebelles vers le Qatar. Les Autorités françaises ont répondu, de manière laconique aux gesticulations de Deby, préoccupées avant tout par des questions d’ordre intérieur. Toutefois, parions que le moment viendra où l’équipe de Sarkozy se penchera sur la question et décidera. Quand le tonnerre grondera ; le soldat Deby s’alignera sagement dans les rangs. Plusieurs exemples sont là pour illustrer que Deby est un as de la gesticulation stérile : l’affaire de l’odyssée macabre de l’Arche de zoé, tel le chevalier Bayard, Idriss Deby a tempêté contre les voleurs d’enfants, les réseaux pédophiles et les trafiquants d’organes, et au finish, il libéra toute honte bue les bandits de l’arche de zoé ; s’accrocha un moment sur d’hypothétiques indemnisations puis oublia tout simplement les enfants du Tchad. Un autre exemple plus récent concerne l’affaire de l’assassinat d’Ibni Oumar, et le vote de la résolution présentée à l’Assemblée nationale française par des députés français demandant l’élargissement de la commission d’enquête à des personnalités indépendantes. En visite à Paris, Deby opposa un refus catégorique et bomba le torse en disant que le Tchad est un pays souverain. Il a fallu qu’un conseiller de l’Elysée évoque la possibilité pour la France « de retirer l’échelle à tout moment » à Deby, pour que « dahab djamoro » fit marche arrière-toute et accepta gentiment d’appliquer la résolution de l’Assemblée nationale française. Enfin, autre exemple, le conflit avec le Soudan donna encore l’occasion de mesurer que les déclarations verbales de Deby ne sont pas à prendre au sérieux, les insultes, la rupture des relations diplomatiques, la fermeture des écoles soudanaises, l’interdiction de la musique soudanaise… Et puis brusquement, il annonce qu’il va se rendre à Khartoum, s’y précipite, tenant une colombe et un rameau d’olivier (où Deby a-t-il trouvé une branche d’olivier ?) à la main pour faire la paix.
Les Soudanais sont surpris par tant d’inconstance et de légèreté mais profitent de cette occasion pour exiger la réalisation de 2 conditions importantes : le départ de la MINURCAT qui campe à leurs frontières et qu’ils souhaitent dégager avant le referendum du SUD Soudan en 2011, et le démantèlement de la rébellion du Darfour entretenue, équipée et soutenue par Deby. L’ambassadeur Tchadien auprès des NU, ALLAMI a d’ailleurs confirmé à la presse l’exigence du Soudan au sujet du départ de la MINURCAT. La suite des évènements en ce qui concerne l’expulsion du chef de la rébellion du Darfour est édifiante à plus d’un titre sur la personnalité de DEBY.
Arrivé au pouvoir grâce à la France, encadré, guidé, bridé et tenu de mettre à la disposition des entreprises hexagonales tous les marchés convoités (voir notre article sur la mainmise des entreprises françaises intitulé « Retour du Tchad de Sonia ROLLEY » première partie) Idriss Deby s’est acquitté de sa tâche sans rechigner, en bon soldat qu’il est. La France le lui a bien rendu, exactement comme à un Bongo, maintes fois sauvé par les interventions militaires de ses jaguars et mirages. Des experts français en informatique ont à chaque élection, bidouillé les résultats en faveur de Deby tandis que les militaires français transportaient dans leurs avions les urnes bourrées d’une province à une autre. Les Autorités françaises ont aussi bataillé pour les négociations avec les institutions internationales afin que celles-ci se montrent un peu plus généreuses à l’égard de leur protégé. Le parapluie militaire français a permis au régime Deby de refuser tout processus de négociation ou de partage du pouvoir pouvant mener à une amélioration du système de gouvernance dans le pays.
La France a, en parfaite entente, avec Kadhafi, empêché que l’UA ne se saisisse des pourparlers de paix entre Tchadiens (rebelles et Deby) comme elle l’a fait pour la RDC, et pour le Darfour, pour proposer un plan de sortie de crise. Les autorités françaises savaient pertinemment que Deby ne respecterait rien, et de plus, un processus de paix mené et contrôlé par l’UA avec à la clé des élections, verrait inévitablement leur protégé perdre le pouvoir. Elle a plutôt soutenu l’idée d’une politique de cooptation qui a l’avantage d’écarter tout débat de fond sur les questions importantes.
Autant manœuvrer pour arriver à une décrispation du climat politique en entrainant l’opposition légale dans la signature de l’accord du 13 Août conçu avant tout pour débloquer une situation non favorable à Deby ; un vrai marché de dupes. D’ailleurs, on pourra relever que la question des revenus pétroliers a été écartée de l’accord du 13 Août, devant le refus catégorique de Deby conscient que la mainmise sur les revenus pétroliers était indispensable à sa survie politique.
20 ans d’exercice d’un pouvoir sans partage, dans un pays doté de tant de richesses n’ont pas permis à Idriss Deby de devenir un homme d’Etat. Il n’a, après 20 ans de pouvoir, qu’une indépendance de drapeau comme on dit. Bongo avait ses fameux coups de gueule, Idriss Deby a ses petites gesticulations, le système est ainsi fait, tout comme à l’ONU, les pays africains crient, hurlent et dénoncent sans pouvoir changer grand-chose, on leur permet de se défouler afin de vider le trop plein de frustrations et de couleuvres avalées ; eh bien, c’est la même chose pour les Chefs d’Etat tipayos. Pour finir, une petite comparaison, toujours avec Bongo, Foccart raconte dans ses mémoires comment il a fait passer un test à Bongo avant de le présenter à De Gaulle pour obtenir le feu vert de son installation au pouvoir, c’était en 1965, 35 années plus tard, Claude SILBERZAHN, patron de la DGSE qui a organisé le putsch contre Hissein Habré, raconte dans un livre comment qu’il a fait passer un oral de préparation détaillée à Deby avant que ce dernier ne rencontre Mitterand. Dur, dur …
La Rédaction