Comme il fallait s’y attendre les réactions ont été nombreuses à la suite de notre article sur le livre de la journaliste de RFI. Encore faudrait-il préciser que la liste des entreprises françaises opérant au Tchad est loin d’être complète et ce, dans beaucoup de domaines. Un tchadien de ESSO nous a signalé le monopole d’Air France pour tous les déplacements du personnel des compagnies pétrolières ; une autre société a le marché des équipements en télécommunications, de la sécurité sur le site et du pipeline etc… Main basse totale sur l’économie tchadienne, alors, que reste-t-il aux pauvres Tchadiens ? L’importation des léda (sachets en plastique) !!
Nous avons choisi de faire un commentaire sur deux autres points traités dans l’ouvrage, il s’agit du rôle de l’armée française à travers sa base militaire et de la radio autoproclamée mondiale RFI.
La présence militaire française au Tchad découle théoriquement d’une opération militaire et n’a pas le statut d’une base militaire à l’instar de celle de Libreville ou de Djibouti. Une opération est, par hypothèse, temporaire, cependant, pour ce qui concerne le Tchad, c’est un provisoire qui dure depuis 32 ans !
La journaliste française a estimé que le Tchad constituait « un bac à sable pour l’armée français» c’est-à-dire un terrain d’expérimentation, de footing pour les bidasses en quelque sorte. Peut-on, en toute honnêteté, ramener l’intérêt géo stratégique et militaire que représente le Tchad à un bac à sable ?
Donnons la parole à un général français, expert militaire qui a écrit ces mots dans la revue Géostratégie au moment où Sarkozy présentait sa nouvelle politique de défense : « La présence des forces françaises en Afrique est un atout extraordinaire pour notre pays, un désengagement de la France serait désastreux car la stature internationale de la France repose en grande partie sur son influence sur les pays africains……. En ce qui concerne le Tchad, ce pays est un verrou stratégique fondamental qu’il faut absolument contrôler quel que soit le prix qu’induisent les déchirements internes. 90.000 ressortissants français travaillent en Afrique, la position du Tchad au cœur de l’Afrique permet des manœuvres rapides en vue de leur sécurisation en cas de problèmes. L’industrie de l’armement a pleinement bénéficié de l’absence totale de contraintes (relevant de la sécurité et de la santé des populations et de l’environnement, note de ZoomTchad) pour tester les nouvelles armes, pour maintenir en état opérationnel un équipement militaire, avions, chars, qui a coûté une fortune aux contribuables français. Faire décoller des mirages et des jaguars devient chaque jour plus compliqué dans notre pays, nuisances, exigences de sécurité des populations, respect des règles de l’environnement. Un avion comme le Jaguar est un avion de combat qui parfois a besoin de voler à basse altitude, chose absolument impensable en France. Soulignons l’opportunité unique offerte aux militaires français de s’entrainer à balles réelles dans ces pays où sont implantées les bases militaires. Grâce à des années d’entrainement à moindre frais de tous ses corps d’intervention, la France est le seul pays européen à avoir fait la démonstration de ses capacités et compétences opérationnelles, aujourd’hui, érigées en véritable expertise largement diffusée vers ses partenaires européens. Si la France part, la place sera prise par d’autres, très rapidement…».
Rajoutons à ces arguments pleins de vérité, que la présence des bases militaires permet de maintenir au pouvoir des hommes lige comme Deby, de déstabiliser des régimes récalcitrants en organisant des coups d’Etat dont le plus célèbre reste celui qui a installé au pouvoir feu David Dacko en RCA, lequel David Dacko, pour la petite histoire, a été transporté depuis Paris où il vivait, dans un avion militaire français, a passé la nuit à la base militaire française de Ndjamena avant d’être acheminé à Bangui pour faire sa déclaration à la radio et se proclamer Chef de l’Etat. Sous la protection de soldats français.
Les bases militaires françaises en Afrique sont un élément de contrôle, de maintien et de défense des intérêts économiques français. Grâce à leur potentiel technologique important, la surveillance des communications téléphoniques et autres qui ne se limite pas au seul pays d’accueil de la base, mais s’étend à tous les pays limitrophes où existent de fait les mêmes intérêts économiques à assurer. D’où la notion de pré carré français. Une farouche détermination anime et guide les autorités politiques françaises dans la défense de ces territoires ; qu’elles soient de gauche ou de droite, les politiques ne peuvent changer là où les intérêts économiques restent les mêmes.
Preuve, s’il fallait, de cette détermination : notre pays, le Tchad à travers son histoire a eu à vivre dans sa chair et dans son sang, cette politique dite de la canonnière; de nombreuses interventions militaires françaises ont été menées férocement contre les populations du BET, contre celles du Ouaddai, du Guéra et du Salamat. Emprisonnements, viols, exécutions sommaires, tortures, villages brûlés et bombardés au napalm, points d’eau empoisonnés etc… Il paraît que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles…
Tous ces massacres ont été perpétrés pour maintenir la dictature sanglante de Tombalbaye, synonyme de sauvegarde des intérêts français. Opérant dans des zones de non droit, les bidasses ont toujours eu carte blanche dans leur intervention. L’exemple du Rwanda a été la bombe qui a explosé au milieu de tant d’autres qui ont été étouffées. Le rôle actif joué par l’armée française tant dans la préparation que l’exécution du génocide continuera à hanter la classe politique de ce pays où 16 ans après le génocide, les accusations et négations se succèdent sans fin. La mauvaise conscience qui contraint les dirigeants français à faire une cour assidue au Rwanda cicatrisera difficilement les blessures profondes infligées au peuple rwandais.
La récente visite de Sarkozy a été la preuve que la préservation des intérêts économiques et diplomatiques français dans ce pays passait par un déplacement personnel du Chef de l’Etat français (grosse couleuvre avalée par celui qui déclarait avec arrogance que « la France n’avait pas besoin de l’Afrique »), et non celui de M. Kagamé en France. Le Rwanda de Kagamé s’est payé le luxe de faire accueillir le Président français par Mme Kabuye Rose, arrêtée dernièrement en France et libérée suite à des tractations. Sans compter que le président français a dû se rendre au mémorial des victimes du génocide, et là, une vidéo lui a été montrée, celle où l’on voit des militaires français faisant le tri des Tutsi aux barrages routiers en compagnie des milices interhamwe hutu, moments intenses durant lesquels M. Sarkozy, blême, a baissé les yeux et accéléré le pas.
Le génocide rwandais a profondément traumatisé l’armée française, c’est pourquoi celle-ci s’est opposée farouchement à la ratification des statuts de la CPI sans la fameuse clause d’une non exécution pendant 7 ans ; en 2000 donc, les experts français se donnaient 7 ans pour nettoyer et quitter les zones à risque en Afrique. Force est de constater que les 7 ans sont passés et rien n’a changé.
Désormais les militaires français, auteurs de crimes de guerre sont, en théorie, passibles de la CPI, et c’est pourquoi, à quelques exceptions près, désormais la France ne veut s’engager que sous la bannière des forces européennes ou onusiennes ou alors faire faire le sale boulot par les africains eux-mêmes, redevenus tirailleurs. C’est la fameuse RECAMP, des forces africaines en attente d’agir pour défendre les intérêts français.
Dans son livre, S. Rolley a traité de manière soft le rôle de l’armée française, à dessein et de manière pas vraiment réaliste, quand elle affirme « …qu’un responsable militaire français lui demande le numéro de téléphone de Nouri et qu’elle refuse.. », laissant ainsi croire que l’officier français ne connaissait rien des rebelles. A quoi servent les survols, photos, rapports d’écoutes menés par les militaires français ? De plus, tout le monde savait que très tôt, les services français étaient en contact avec la rébellion, et notamment avec Nouri et Timane. Dans le même registre, un responsable de l’ambassade de France l’appelle pour lui demander son sentiment sur la capacité militaire des rebelles. Enfin, parlant de l’armée française et de sa contribution durant la guerre contre la Libye, elle déclare « les militaires français se sont battus coude à coude avec les tchadiens pour repousser les libyens ». Mon Dieu ! il nous faudrait un livre entier pour parler des événements les plus dramatiques que le peuple tchadien a vécu et de la politique française menée par Mitterrand, ballottée sans cesse entre la préservation de ses intérêts économiques et commerciaux en Libye, et le respect de ses engagements envers le Tchad; la majorité des tchadiens en sont dégoutés à jamais ; et il n’y a jamais eu de combats coude à coude. Si cela avait été le cas, les militaires français ne vivraient pas bunkerisés dans leur base, totalement coupés de la population tchadienne et sans aucun contact avec elle. Par rapport à l’arrivée de Deby au pouvoir, elle dit qu’un officier français lui a révélé qu’il était à Ndjaména mais c’est par un coup de fil de Paris qu’il aurait appris que les troupes de Deby étaient aux portes de Ndjamena. Quelle intox ! C’est un secret de polichinelle que quand Hissein Habré a quitté la capitale Tchadienne, Deby et ses hommes étaient à Abéché, 48 heures après, ils sont arrivés à Massaguet et ont refusé catégoriquement d’avancer sur Ndjamena craignant un piège, et les forces françaises en compagnie de l’ambassadeur de France de l’époque ont été obligées d’aller les chercher. La journaliste de RFI est âgée, selon les fiches de présentation, de 27-28 ans, cela veut dire que quand HH a quitté le pouvoir en 1990, elle avait 7-8 ans, autrement dit en classe de CE2-CM1, c’est dire que sa connaissance des problèmes tchadiens est somme toute relative, et largement tributaire des médias français; elle peut juger elle-même du grand décalage existant entre ce qu’on pense être un diplomate français en Afrique, et ce qu’elle a, elle-même, vécu au Tchad. Le fossé est immense et parfois difficile à imaginer, laissons lui le temps ….
La récente audition de Kouchner à l’Assemblée nationale française sur l’affaire IBNI a montré au grand jour l’implication profonde des militaires français dans les évènements politico-militaires tchadiens. C’est ainsi que le ministre Français a fait plusieurs révélations importantes : Primo, il a reconnu qu’en 2006, lors de l’attaque du FUC de Mahamat Nour, les mirages français ont bel et bien bombardé les colonnes des rebelles, donc « le coup de semonce » n’en était pas un. Secundo, il a reconnu aussi que les militaires français ont participé à des combats à l’aéroport pour repousser les rebelles en expliquant par une théorie selon laquelle l’aéroport de Ndjaména était divisé en 2 parties, une sous le contrôle des hommes de Deby et l’autre aux mains de l’armée Française. Tertio, il a aussi avoué qu’aux alentours de la présidence, les militaires français ont prêté main forte aux éléments de Deby.
Concernant l’enlèvement des opposants, M. Kouchner s’est démené comme un beau diable pour défendre le régime de Deby, provocant des échanges assez vifs avec les députés. Manifestement acculé, il s’est empêtré dans des contradictions graves. Il a affirmé que les militaires français ne pouvaient rien faire parce que toutes les communications avaient été coupées, puis, il ajoute que c’est le fils de LOL qui a téléphoné pour informer l’ambassade de France (si le téléphone était coupé, le fils de LOL n’aurait pas pu joindre l’ambassade) ; ensuite, il essaye de trouver des circonstances atténuantes à Deby, la fameuse théorie de l’absence de chef, d’une perturbation de la chaîne de commandement de l’armée, etc…
Rappelons cette interview de Deby dans le journal français, le Nouvel Observateur où il disait ceci : « Quand on m’a informé qu’il y avait un attroupement de rebelles devant la maison de LOL, j’ai dit, prenez-le ! J’avais à mes côtés 2 officiers français ».
C’est bien la preuve que c’est Deby qui donnait les ordres, que des officiers français étaient de véritables acteurs aux côtés de Deby et qu’ils ont cautionné l’enlèvement des opposants. La résolution demandant l’élargissement du comité de suivi dans l’affaire IBNI a été adoptée. Mais, déjà Kouchner dans l’hémicycle avait parlé de l’impossibilité d’imposer cette résolution au Tchad qui est un pays souverain, et c’est la même trompette qu’a embouché Deby pour la rejeter absolument. A suivre…
Pour finir sur ce point consacré à l’armée française, rappelons un petit fait d’histoire : Au moment de l’accession à l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le Président Houphouët Boigny s’était inquiété du fait que l’armée Ivoirienne n’en était pas vraiment une dans la mesure où elle ne disposait d’aucun armement. Ce n’est pas grave, lui répondit Foccart, nous sommes en train de préparer des accords de défense; en cas de conflit interne ou d’agression extérieure, vous confierez par ces accords, à la France, la défense de la Côte d’Ivoire et vous savez, ajouta-t-il, c’est une bonne chose que l’armée ivoirienne n’ait aucun armement, il lui est ainsi impossible de faire un coup d’Etat.
On comprend mieux qu’à la mort d’Houphouët, voyant ses intérêts économiques menacés par la mainmise des multinationales américaines sur le cacao ivoirien, la France a su parfaitement où frapper pour déstabiliser le pays d’Houphouët qui, en signant les accords de défense ne pouvait, un instant, imaginer que le pays à qui il confiait, en toute bonne foi, la défense de sa chère Côte d’Ivoire, pourrait devenir un jour, le premier agresseur.
Le loup était dans la bergerie ….
La journaliste de RFI a, bien entendu, parlé de son travail de journaliste, et comme on n’est jamais mieux servi que par soi même, elle estime que : « RFI est la radio de référence, celle que les Tchadiens croient.».
Pour la françafrique, l’information est une arme redoutable ; aussi de RFI au Monde, son traitement est surveillé, filtré, parfois même organisé. De cela, tout le monde en est parfaitement conscient, et les Tchadiens, peut être, beaucoup plus que les autres africains, ont appris à connaître le tempo de cette radio ; ceci à cause des bouleversements politico-militaires qui sont survenus dans leur pays. Tous les Tchadiens savent que l’information est loin d’être objective bien au contraire, l’info est avant tout françafricaine; quotidiennement, qu’il s’agisse de l’affaire HH, de la Cote d’Ivoire, du Rwanda, du Soudan, RFI se signale par un parti pris grossier, par une campagne de dénigrement, d’intoxication qui n’échappe à personne ; même ses silences sont parlants comme le dit la journaliste, lorsque sa direction lui interdit de couvrir l’avancée des rebelles vers Ndjaména ; ceci pour éviter de créer un vent de panique dans la ville. Hier, c’était un autre journaliste qui dénonce le saucissonnage de ses reportages jusqu’à les dénaturer. Spécialiste de l’information biaisée et des rideaux de fumée, RFI en plus de 30 ans d’existence n’a jamais sondé ses auditeurs, ceux-ci n’ont guère d’importance, l’essentiel c’est l’autoglorification ; radio mondiale, info mondiale. Les auditeurs de la BBC en rient à s’étouffer.
Tout le monde écoute RFI, par habitude, parce qu’il n’y a rien d’autre au Tchad. Dans les pays anglophones, la BBC jouit de la même audience mais dépasse largement RFI en matière de crédibilité. D’ailleurs, on peut faire le constat que durant les périodes de crise, les Tchadiens se remettent à écouter la BBC. Ce que les Tchadiens savent aussi, c’est que beaucoup de journalistes travaillent étroitement avec les renseignements généraux et les services spéciaux français. Parfois, ils sont en mission commandée, comme l’a été le journaliste Laurent Caureau de RFI, envoyé pour espionner la rébellion tchadienne à la frontière soudano-tchadienne. Hier, c’était le journaliste français Regis Debray qui a permis l’identification du révolutionnaire Ché Guévara et son assassinat.
Les pratiques peuvent-elles changer là où la politique demeure la même ? (Voir aussi article intitulé « RFI a 30 ans »).
La Rédaction