Le DNIS est en plein travaux, dans les salles des thématiques et des sous commissions, tout ne roule pas comme sur des roulettes. La machine du DNIS tourne entre les mains des hommes et des femmes du système MPS et affiliés avec la contribution des politico-militaires et autres alliés. Est-ce étonnant ?
Certains font semblant de s’étouffer de colère alors que le cadre avait été déjà défini et la composition des participants au DNIS connue. La cooptation de dirigeants de mini-partis pour jouer des rôles importants pour le compte du pouvoir, a permis de donner le change en mettant en retrait les grands responsables du système MPS qui, toutefois, veillent au grain en tirant les ficelles en arrière-plan.
Ce qui est fondamental pour le pouvoir et la France, c’est que le schéma prévu se déroule sans trop de difficultés.
En d’autres termes, pour la France, la mort d’Idriss Deby devait être l’occasion pour ouvrir un système qui était cadenassé et inflexible, et cela, pour permettre des négociations avec les politico- militaires et autres. Tout le monde connaissait la position d’Idriss Deby qui pouvait se résumer comme suit : « que celui qui peut me déloger, le fasse militairement ». C’est pourquoi, aujourd’hui, certes, Idriss Deby est mort mais le pouvoir n’a pas été arraché par ceux qui pouvaient le faire facilement c’est-à-dire les forces du FACT. C’est la raison pour laquelle, il s’agissait, pour les Français, de faire de la place aux politico-militaires, aux opposants civils comme Saleh Kebzabo et Al Abbo qui ont pris le train à l’aube sans difficultés.
Faire de la place, cela ne signifie pas, rebattre les cartes et commencer une autre partie. C’est le point central qui n’a pas été compris par beaucoup. Pour commencer une autre partie à armes égales, c’est-à-dire, par exemple, obtenir la parité demandée dans la salle (encore qu’on se demande comment satisfaire tous ceux qui veulent la parité comme les Transformateurs, le FACT, quand il faut aussi compter dans la salle avec les autres partis politiques, la société civile, les associations etc.). Tout ce monde a bel et bien le droit d’être dans la salle et de faire partie du dialogue.
Pour parler terre à terre ; à défaut d’avoir terrassé le système MPS et prit véritablement le pouvoir, il fallait parvenir à installer un vrai rapport de force militaire, par exemple ; en occupant une partie significative du territoire pour pouvoir poser de telles exigences et demander que les cartes soient rebattues et distribuées pour un nouveau tour.
C’est la même chose pour Succès Masra. En 2019, il avait rencontré Idriss Deby et semble-t-il un deal a été scellé autour du poste de Vice-Président (un simple bluff selon l’entourage de Deby qui avait déployé les moyens bien connus de persuasion) et le leader des Transformateurs y a crû et s’était rangé.
C’est pourquoi, aujourd’hui, de sa seule capacité à mobiliser ses jeunes militants dans la rue, il ne peut tirer une légitimité, une force politique qui lui permettrait de poser des conditions à la table des négociations. On dit souvent, quand on arrive à une table de négociations, il faut demander à chaque partie : « Combien de divisions, combien de chars ? » C’est dire.
C’est de cette situation où le tronc du pouvoir MPS est toujours en place qu’il faut trouver l’explication du vote par consensus à la place d’une formule plus démocratique comme le vote à bulletin secret ou à mains levée. Le MPS n’allait pas donner les moyens pour qu’on l’élimine de la scène politique.
Ce « malentendu » politique, si l’on peut dire, dans l’appréciation du déploiement de la manœuvre qu’est le DNIS, explique toutes les frustrations pour certains cas et les tâtonnements pour d’autres.
Ceux qui n’ont pas voulu participer au DNIS, ont compris sur le tard qu’il est difficile de sauter dans un train qui est déjà lancé. Que faire alors ?
Il s’agit de ne pas se faire oublier, de perturber le DNIS pour décrocher un deal. C’est l’objectif de Succès Masra. Il a bien compris que le processus du Dialogue allait déboucher sur quelque chose qu’il va être très compliqué de remettre en cause. Il faut de l’agitation, il faut aussi activer les soutiens (Église catholique) appel au secours en direction du SG des Nations Unies pour influer sur le cours des événements. Il mène son combat politique comme il peut ; faisant feu de tout bois menaçant de prendre les armes, lui, le banquier « démocrate », à l’heure où beaucoup déposent leurs armes pour donner une chance à la paix. Il dévoile ainsi ses multiples facettes contribuant à assombrir son personnage. Il veut faire couler du sang en parlant ouvertement d’un recours aux armes dans un climat extrêmement tendu. On voit d’ici la suite logique de cette stratégie d’utiliser ses militants comme de la chair à canon et d’actionner ensuite les leviers des ONG en renfort.
Moussa FAKI lui a surfé sur ses fonctions de Président de la commission de l’UA pour étaler au grand jour ses ambitions. Il est monté sur le train du DNIS et après son show, il fût défenestré du train. A la fin de son mandat en 2025, il sera peut-être à nouveau sur la ligne de départ mais tout dépendra de la situation du pays. Peut-il nuire au CMT, de sa position ? L’UA ne peut rien faire contre un schéma tracé et conduit par la France. Elle est une organisation qui est sortie de sa mission originelle pour être un instrument pour le compte des Européens qui prennent en charge 70% de son budget de fonctionnement. Dans ce monde de serpents, il y a eu certainement des voix qui ont encouragées M Moussa FAKI à se jeter dans l’arène politique et de profiter de la tribune du DNIS. Des voix étrangères qui ne maîtrisent pas les ressorts de la politique au Tchad. Moussa FAKI, lui-même, n’a jamais été plongé dans le labyrinthe politico-militaire et a mal apprécié les ambitions des uns et des autres, le déplacement du curseur des alliances claniques surtout depuis la mort d’Idriss Deby mais aussi les enjeux autour de la conservation du pouvoir économique qui font que les lignes bougent et se redessinent. Le fait qu’il ait affiché ses ambitions, donne des cartes au CMT pour se plaindre auprès des Chefs d’État d’éventuels actes négatifs de sa part. Il cogitera sur tout cela d’ici 2025.
Quant à Timane Erdimi, il est bien installé dans le train du dialogue. Il revient de loin et savoure son retour au pays. Et il a bien raison. Il a eu le temps de réfléchir, pendant son exil, à ses erreurs. Il n’a pas fait de complications dans le Pré-dialogue. L’essentiel était pour lui de revenir au pays. Et il a eu raison. Il observe, analyse pour l’instant. Que fera-t-il ? Transformer l’UFR en parti politique et aller demander le suffrage des Tchadiens ? En analysant sa pensée politique, il ne prendra pas cette voie face à un parti -État comme le MPS. Sera-t-il un homme pressé ? On a annoncé la libération prochaine de Tom Erdimi, emprisonné en Égypte sur demande d’Idriss Deby. Timane sera renforcé par le soutien de son frère. On verra alors se construire et se mettre en place leur stratégie pour leur ambition politique. A suivre..
Que dire du FACT de Mahadi ? C ‘est l’une des forces politico-militaires qui a refusé de monter sur le train du dialogue. Les conditions d’un accord politique avec le pouvoir sont quasi inexistantes à l’heure actuelle. Il lui reste alors la solution militaire. La reprise des combats en Libye entre les belligérants complique les choses pour le FACT.
Si Succès Masra combat la tenue du dialogue en multipliant les sorties enflammées, guerrières, affichant sa volonté de déstabiliser les institutions pour obtenir un deal hors du DNIS. Le FACT après le Pré-dialogue, se cherche un peu. La lettre confidentielle Africa Intelligence a révélé que Mahadi a saisi par lettre, le Président de l’UA, Macky Sall, pour une médiation, juste après la fin des pourparlers de DOHA. Cette initiative est une maladresse sur le plan diplomatique car n’oublions pas que l’UA était bel et bien, partie prenante, des négociations de Doha, autrement dit, le Président sénégalais connaît bien le dossier qui a capoté après 5 mois de séjour au Qatar. Sans compter que Macky Sall veut des victoires à mettre en lumière sur le bilan de sa présidence de l’UA. Or, rien n’est sûr. Mahadi n’a pas fait le déplacement à Doha, le fera-t -il à Dakar ? Certainement pas. Autre chose ; Macky Sall ne fera pas l’affront au grand Qatar qui garde Karim Wade loin du Sénégal, de lancer une médiation qui laisserait entendre que les pourparlers ont échoué par la faute des négociateurs et que lui, reprend la main. On peut trouver là, les raisons qui ont poussé le Président sénégalais, à ne pas donner suite, jusqu’à présent, à la demande de médiation formulée par Mahadi.
Cette mauvaise passe explique peut-être pourquoi le leader du FACT a laissé tomber la question des prisonniers de guerre selon ses propres déclarations. Constatons que le FACT a besoin de rassembler ses forces et ses intelligences pour faire face à une situation politico-militaire délicate et complexe à plusieurs niveaux. Il a eu à faire face à des départs de plusieurs de ses hauts cadres. Ce mouvement n’a pas clairement défini une stratégie après la mort d’Idriss Deby, sur le plan militaire mais aussi sur le plan politique. Sa participation au Pré-dialogue s’est tassée petit à petit pendant ces 5 longs mois de négociations qui ont usé tous les participants.
Après l’ouverture du DNIS, on a vu un front se mettre en place avec, en commun, le partage d’un certain nombre d’idées. Ainsi, Succès Masra, pourtant viscéralement opposé aux politico-militaires, a jeté des fleurs à Mahadi. Ce dernier s’est aligné sur certaines positions de Masra. Est-ce l’ébauche d’une vraie alliance ou une démarche de circonstance liée aux difficultés rencontrées par les deux leaders ? Nous savons que Succès Masra négocie toujours par divers canaux avec le pouvoir, tout le contraire de Mahadi. Dans un proche avenir, compte tenu du temps qui s’étire, on y verra plus clair.
Le PCMT a amorcé le processus du DNIS sous un véritable orage, en ces temps d’hivernage. Suivant à la télévision, le déroulement du dialogue national, il applique le schéma prévu. Tous ses conseillers jouent leur partition sur tous les fronts. Les cerveaux du pouvoir en contrôlent l’exécution. On voit qu’au sein du MPS, une fissure a eu lieu, des responsables ont été mis de côté, d’autres sont montés au créneau pour mener la politique définie.
Le train du dialogue a pris son départ, les turbulences internes et extérieures le secoue mais il continue sa route et est toujours sur les rails. Il va bientôt traverser une autre zone de turbulences avec l’examen de questions essentielles.
Le PCMT a réussi, lui, le militaire, à ne pas céder à un affrontement militaire avec la colonne du CCSMR qui a pénétré au Tibesti. On peut regretter l’énorme gaffe du ministre de la Communication annonçant dans la salle du DNIS cette incursion rebelle. La levée du siège et la libération des militants de Succès Masra a été aussi un bon point de décrispation qui montre sa flexibilité pour résoudre un problème mais la convocation par le procureur a été étonnante alors que Succès Masra, lui-même, a parlé de trêve croisée laissant la place à la continuation des pourparlers avec le Comité des religieux. Cela signifie que des forces s’organisent pour ne pas faciliter la tâche au PCMT en glissant des cailloux dans ses chaussures.
Il fait donc face à beaucoup de choses, c’est le dur apprentissage de l’exercice du pouvoir. Son principal challenge : arriver à la fin du dialogue dans de bonnes conditions, de là, pourront se poser les jalons pour une autre ambition.
Force est de souligner que les difficultés sont bien là ; les importantes attentes des populations, les frustrations après 30 années d’un pouvoir démoniaque, remontent peu à peu à la surface. La grosse campagne de communication autour du DNIS a fait croire à certains qu’il allait y avoir un vrai changement, une nouvelle orientation. Les responsables du DNIS ont vite compris le danger de laisser toutes les frustrations sortir.
C’est la raison pour laquelle, sentant la vague se constituer, on ne veut plus donner la parole qu’au compte-goutte, de peur, de lui donner encore plus de souffle et par voie de conséquence, on accélèrera la cadence pour en finir le plus vite.
Demain lundi, nous aurons les propositions des sous commissions sur les différents thèmes, espérons qu’elles soient à la hauteur des attentes des uns et des autres.
LA REDACTION DE ZOOMTCHAD