On se rappelle, il y a, à peine, un mois, le Wall Street journal avait publié un article faisant état d’une alerte faite par l’un des responsables américains des services du renseignement militaire, en direction des autorités tchadiennes, sur une tentative d’assassinat du Président de transition, en préparation par le groupe Wagner et des groupes rebelles. Dans les milieux français, on a pointé du doigt l’homme fort du Soudan, le fameux Himiti qui œuvrerait pour une alliance avec des rebelles tchadiens pour un coup d’Etat au Tchad.
On n’en sait pas plus. Mais, il y avait de quoi faire monter la tension dans la sécurité présidentielle et crisper l’atmosphère politique.
En interne : les organes impliqués dans l’organisation du référendum mais aussi les institutions qui vont travailler sur la constitution, le code électoral, bref, tout l’arsenal a été mis en place malgré les critiques quant à leur composition majoritairement MPS.
L’action du gouvernement a été quelque peu troublée par les révélations sur le népotisme du PM, sa dolce vita dans des jets privés. Cette posture est intéressante car elle dévoile au grand jour, que le poste de PM est en fait une part du gâteau, un pass d’accès aux ressources. La Primature est ainsi devenu l’antichambre du Parti de Saleh Kebzabo qui a tout simplement copié le MPS qui a, lui aussi, fait main basse sur tous les postes juteux dans l’administration.
Saleh Kebzabo fera-t-il un ticket avec le Président de la transition ou amasse-t-il des moyens pour y aller sans le Président de transition? Selon certaines informations, il s’est engagé à contrecarrer Succès Masra donc l’hypothèse du ticket n’est pas farfelue ; ce qui peut expliquer la grosse part du gâteau attribuée au PM.
Il est important de souligner que ces signes sont très parlants car, en-dehors, des membres importants du clan, de tels moyens financiers et des possibilités de placer ses enfants, ses militants mais aussi d’attribuer depuis le DNIS d’importants marchés à la société de son épouse, ne sont pas envisageables s’il n’y avait pas une alliance déjà solidement ficelée.
Vivant hors du Tchad, Succès Masra a donné des interviews début mars. La question de la saisine de la CPI est une agitation médiatique difficile à mettre en œuvre sans qu’il soit, lui aussi, éclaboussé mais il y tient et l’exploite, bien que la CPI est en perte de vitesse. Pourquoi personne n’en parle, pour ce qui se passe sous nos yeux entre l’Ukraine et la Russie ?
Le pouvoir se prépare activement pour les élections et l’équation est de savoir qui parmi les leaders, participera à cette course présidentielle ?
Succès Masra sera-t-il de la partie ? Il s’est battu, s’est préparé et brusquement, il s’est embarqué dans une autre voie qui se révéla être désastreuse. Aujourd’hui, c’est l’impasse totale. Il est donc évident qu’il n’y sera pas, dans le schéma actuel des choses.
Un autre prétendant au pouvoir, le leader du FACT qui s’est retiré des négociations de Doha, a récemment déclaré qu’il s’est engagé auprès de la « communauté internationale », à ne pas lancer d’offensives armées contre le pouvoir de N’djaména. La question devient complexe quand le gouvernement refuse de négocier avec le FACT et que la même communauté internationale ne semble pas demander un effort au gouvernement pour entamer des négociations avec Mahadi. Ainsi donc, le leader du FACT s’est lui-même lier les pieds pour ne pas avancer vers une conquête du pouvoir par les armes et faute d’accord de paix, il sera absent de la compétition électorale dans l’ordre actuel des choses.
Timane Erdimi, homme politique résolument déterminé à conquérir le pouvoir, n’a pas encore transformé l’UFR en parti politique pour se préparer aux présidentielles.
Il a toutefois rendu visite, récemment à deux reprises, au leader de l’UFDD pour qu’ils coordonnent leurs actions dans la dénonciation des Accords de Doha, par rapport au retard dans la mise en œuvre des plans DDR.
Cette question DDR pose problème, aujourd’hui, car elle est appréciée différemment par les partenaires qui ont accompagné le processus de négociations de Doha.
Les groupes politico-militaires demandent à recevoir les fonds prévus qui leur permettraient de rassembler leurs hommes qui sont stationnés dans les pays voisins, de les faire rentrer au Tchad afin qu’ils soient intégrés dans l’armée.
Timane Erdimi qui a commencé à tisser sa toile par une alliance avec Yaya Dillo, mais aussi, en ayant des connexions avec des activistes sur le net, veut que le programme DDR soit lancé. Il semble avoir réalisé que le temps passe et qu’il urge qu’il déploie sa stratégie. Mahamat Nouri, lui aussi, est impatient de voir le programme DDR se déployer.
Le Qatar, sollicité par le gouvernement du Tchad, a souligné qu’il revenait à l’ensemble des partenaires de verser leur part pour la mise en œuvre du programme DDR, comme cela a été convenu à Doha. Le Qatar, ayant déjà beaucoup fait, ne peut pas assumer cette charge tout seul. Ce à quoi, la France et les États Unis ont rétorqué qu’il n’est pas opportun, au vu du climat sous-régional, des tensions aux frontières avec le Soudan et la RCA, de lancer ce programme. Qu’après réflexions, il faut faire en sorte que le Président qui sera élu, s’occupe de ce programme DDR.
Les difficultés sont là. Que révèlent-elles ?
D’un côté, on cherche à acheter la Paix et de l’autre à la vendre ; on s’embarque alors dans des calculs d’épiciers interminables. L’argent est au centre du jeu politique entre les politico-militaires et les gens du pouvoir. Pas de confiance, pas d’engagements pour le pays, pas d’actes patriotiques. Des complots, des rumeurs, de l’intox. Des stratégies de neutralisation et des velléités à tout remettre en cause. Sans cesse. Ainsi, se dégrade peu à peu le climat politique.
Sur la frontière centrafricaine, une rébellion, pas encore véritablement armée, a vu le jour. Beaucoup de jeunes la rejoignent en pleine forêt. Succès Masra en a fait allusion et a réitéré sa volonté d’organiser une lutte armée. C’est une nouvelle donne dans une zone frontalière sous contrôle de Wagner. Ouvrir une brèche sur cette frontière est une chose extrêmement grave pour l’avenir du Tchad.
Il est important que les chefs qui dirigent cette rébellion et qui n’ont pas encore officiellement dit qu’ils étaient avec Masra, pèsent et soupèsent leurs actes avant de faire basculer le pays dans une situation qui, très vite, sera hors de leur contrôle effectif et c’est bien là le problème. La présence à leurs côtés comme conseillers d’anciens codos n’est pas une garantie crédible.
Comme on peut le constater, de gros nuages s’amoncellent sous le ciel tchadien. L’avenir reste toujours incertain ; sur plusieurs frontières, les dangers sont bien là, mais aussi, en interne, où la greffe avec les politico-militaires n’a pas pris totalement, où les ambitions des différents leaders, contrariées par les obstacles, risquent de créer de grosses frustrations synonymes d’instabilité.
A suivre.