A presque 72 h de l’ouverture du pré-dialogue à Doha au Qatar, les agitations continuent et force est de constater que le CMT est en ébullition quasi permanente sur ce dossier. Ce n’est pas la sérénité.
Et on le comprend bien car les forces négatives qui sont contre la paix, la réconciliation avec les groupes politico-militaires sont très présentes au sein du CMT mais aussi dans les différents comités qui interviennent dans le processus de paix. En fait, c’est l’obstacle premier à la paix. Cette réconciliation, cette paix n’ont pas été voulues par le CMT. Elle a été imposée par la tutelle française comme un moyen obligé pour la stabilité du pouvoir de Mahamat Kaka.
L’obsession française est de ramener tous les groupes politico-militaires au pays afin d’éviter que les Russes se faufilent au Tchad en soutenant un groupe politico-militaire dans un pays où les hommes expérimentés dans la guerre et déjà en armes sont partout, désœuvrés, discriminés et prêts à faire tomber un CMT fragilisé.
Tout le monde sait qu’une autre offensive armée bien organisée emporterait le CMT. C’est donc pour assurer la survie du système Deby et conserver leurs nombreux privilèges que les membres du clan Deby ont accepté la paix tout en cherchant à contrôler le processus, à le limiter et au final le neutraliser. Partant de ce constat, la tutelle française a obtenu l’alignement du CMT sur ce processus de paix. Mais un alignement du bout des lèvres, ce qui explique la création de plusieurs comités dont les missions consistent à faire rentrer les politico-militaires, et les activistes installés à l’étranger qui ont été poussés par les Français moyennant des millions, laisse-t-on entendre à N’djaména.
Ramener les gens au Tchad, est-ce pour autant avoir fait la paix et la réconciliation ? Certainement pas ! Le plus grand obstacle à la paix et à la réconciliation est le CMT lui-même. Organe collégial traversé par des courants antagonistes. Le CMT est lui-même un groupe qui n’est pas homogène et une partie soupçonne que le général Mahamat Kaka ait un agenda caché ; il chercherait avec ses alliés français à faire prolonger la transition pour rester 5 ans murmure-t-on et que dès lors, les groupes politico-militaires, une fois, rentrés au pays, seraient des forces en soutien au Président du CMT dans un proche avenir. Ainsi, pense l’aile dure, les faucons du CMT. Dés lors, les politico-militaires vont avoir face à eux un comité de négociations partagé entre l’aile dure et l’aile cool, à l’image du CMT.
On peut souligner que le nouveau comité mis en place à la veille de l’ouverture est composé de 24 membres. Un changement dans la présidence du nouveau comité a été relevé. Le Ministre des Affaires Étrangères a remplacé M Goukouni Weddeye qui n’a pas été reconduit dans le nouveau comité. Il est tout à fait normal que le gouvernement ait tenu à faire diriger les négociations par un membre officiel du gouvernement, apte demain à signer les accords de paix si le président du CMT (ou le PM) ne se déplace pas lui-même à Doha.
Rappelons que Goukouni Weddeye a été nommé à la tête d’un Comité spécial provisoire, il ne peut donc engager le gouvernement par sa signature. Le gouvernement, en toute logique, a mis fin à l’activité du comité dirigé par Goukouni par le décret qui a institué le nouveau comité. M Goukouni Weddeye n’a donc pas démissionné. Pour cela, il aurait fallu que M Goukouni Weddeye fasse un communiqué officiel en ce sens. Ce ne fut pas le cas. Rappelons que M Goukouni reste vigilant quant à la préservation de ses intérêts dans le cadre de sa collaboration active avec le pouvoir MPS car sa fille est Ministre pour le représenter au gouvernement.
Sa mission était provisoire, elle a pris fin, et, dans l’étape finale, il n’avait pas sa place. Le CMT a jugé bon de positionner une nouvelle équipe dans cette phase importante. Libre à lui. Contrairement aux manœuvres constatées çà et là pour s’émouvoir et faire croire à une démission de M Goukouni, on a eu à constater qu’il a, dès sa prise de fonction, fait entrer dans le comité de négociations des parents à lui.
En outre, on peut dire que le CMT lui a fait une fleur pour le ressusciter politiquement car on se rappelle des échecs qu’il a accumulés dans toutes les missions que Deby lui a confiées pour résoudre les problèmes au Tibesti. Il n’avait plus de crédibilité et le régime d’Idriss Deby lui a fait avaler de nombreuses couleuvres. Pouvoiriste dans l’âme, il a toujours mordu à l’hameçon tendu, hier comme aujourd’hui.
Dans la phase première, des échanges avec les politico-militaires ont consisté à accepter d’entrer dans le processus de paix et de réconciliation. Tout simplement. C’est maintenant que les choses sérieuses commencent.
De nombreuses questions importantes ont été volontairement laissées en suspens. Il en est ainsi de la place du Qatar, est-il garant de ces accords ou simple facilitateur ?
Quel est le rôle de l’Union Africaine à ses pourparlers de paix ? Offensive, peu diplomatique dans la crise malienne, elle est inaudible sur le dossier tchadien. Le Président de la Commission de l’UA M Moussa Faki est aphone, il a renoncé discrètement à exiger la modification de la Charte de la transition, ce faisant, il s’est aligné sur les positions françaises. L’UA sera-t-elle à Doha ?
On sait d’ores et déjà, que la France est au cœur de ces négociations de Doha, un haut responsable de la DGSE a déjà fait de multiples va-et-vient au Qatar avec les autorités tchadiennes. Autrement dit, le processus est sous contrôle. A Doha, la délégation tchadienne représentant le gouvernement a été élargie aux membres du MPS, aux partis alliés, etc. On a l’impression que le gouvernement cherche à noyer, par le nombre, les politico-militaires. Est-ce une bonne stratégie ?
On peut en douter sauf quand on ne cherche pas à obtenir des résultats concrets en termes d’engagement pour la paix et la réconciliation. Dans un système politique comme celui qui existe au Tchad, le Chef de l’Etat donne sa parole, respecte sa signature et applique les accords et tient ses promesses. Or, le pouvoir d’Idriss Deby s’est illustré par la trahison de la parole donnée, par le non-respect des accords, pire par l’assassinat de ceux qui ont fait la paix avec lui et qui sont rentrés au pays.
Les héritiers de ce système Deby sont aux commandes aujourd’hui et que vaut leur signature et leur parole ? C’est une question fondamentale car la personne du chef Mahamat Idriss Deby ne se démarque pas du CMT. Il est enlisé dans ce conglomérat plein de contradictions. Exemples : À la diffusion de l’audio de M Timane Erdimi, le porte-parole du gouvernement a fait une déclaration visant à disqualifier et excluant M Timane Erdimi du processus de paix à Doha. Quelques jours après, le Président du CMT, dans une interview à un média français déclare que personne ne sera exclu. Ensuite, s’exprimant au sujet du FACT, Mahamat Idriss Deby a parlé de mercenaires, de terroristes. Puis, il a évité de les qualifier comme tels dans l’interview suivante. Autant d’incertitudes, de tâtonnements démontrent que ce sont des interventions extérieures qui recadrent les déclarations spontanées qui dévoilent les réels sentiments et montrent combien ce processus au forceps est fragile, incertain.
Autre nuage sur Doha, quel est l’ordre du jour et les thèmes qui seront traités ? Certains politico-militaires ont posé le problème mais aucune réponse ne leur est parvenue, à quelques jours du début des négociations. Il est évident que quelques résultats sont attendus. Certains groupes politico-militaires sont prêts à faire la paix si les conditions sont respectées. La position du FACT de Mahadi Mahamat, la force militaire la plus importante, sera observée à cette table de négociations. Dans la phase 1 à Paris, son mouvement a émis des réserves quant à sa participation par rapport à l’exécution de certains de ses prisonniers de guerre dont il demandait des nouvelles. La délégation tchadienne à Doha apportera-t-elle des réponses au FACT ?
Au sujet de Timane Erdimi, son audio a certainement mis en branle un plan de neutralisation, lui qui a dit sans ambages « vouloir dégager du Tchad, Mahamat Kaka et sa France », ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd quand on sait la forte présence de la DGSE dans ce processus de négociation.
De nombreux observateurs ont relevé la forte présence des Zaghawas dans le nouveau comité, 11 sur 24 membres. C’est un signe important, de leur engagement à défendre leur pouvoir. On attendra de les voir et de les écouter autour de la table de négociations. Leur position sur Timane Erdimi est aussi attendue.
Les conditions réelles pour la paix et la réconciliation sont loin d’être remplies à l’ouverture des négociations à Doha sous l’œil vigilant des autorités françaises. Acteur fondamental du drame tchadien, elles sont aussi un obstacle majeur qui empêche les Tchadiens de se parler et de poser les jalons d’une paix durable et sincère. Elle exclut d’emblée que le bilan désastreux des 30 années du pouvoir Deby soit fait sur tous les plans ; économique, droits humains, financier etc, parce que tout simplement, elle a bel et bien pataugé dans le marigot de la mal gouvernance, des crimes de toutes sortes du pouvoir Deby. Attendons donc de voir ce que va donner ce processus de paix menée par les autorités d’un pays totalement enserré dans un étau, une tutelle française qui a déjà, semble-t-il, préparé un accord général.
LA REDACTION DE ZOOMTCHAD