L’ élection de Moussa Faki Mahamat au poste de la Présidence de la Commission de l’UA a été célébrée avec un débordement fou dans un pays plongé dans une grave crise économique et sociale où les fonctionnaires de l’éducation nationale, de la santé réclament toujours plus de quatre mois d’arriérés de salaires, où les prix des denrées de consommation courante flambent et l’appauvrissement des populations tchadiennes est toujours plus important, où enfin, les élections législatives ont été reportées faute d’argent.
Mais qu’importe, Idriss Deby et l’ensemble de sa délégation ont fait le tour en voiture dans les rues d’Addis- Abeba, klaxonnant, criant, chantant, dansant, une véritable « serrah » tchadienne. Un avion spécial a été affrété pour amener en Ethiopie les chanteurs et la cohorte de militants et parents pour fêter l’évènement. Deux réceptions grandioses ont été organisées dans la résidence-que dis-je, le palais de l’ambassadeur du Tchad à Addis. Comme on peut le constater, quand il s’agit de danses et beuveries, l’argent est toujours disponible. Une véritable bouffonnerie grotesque et infantile, coûteuse et dégradante. La presse éthiopienne ne se souvient pas d’une telle folie pour une élection à la Présidence de la Commission de l’UA, et il y a en eu plusieurs auparavant.
Questions donc au tour de cette élection de Moussa Faki Mahamat.
Force est de constater que la diplomatie tchadienne ne s’est pas signalée comme une diplomatie active, organisée, forte, influente avec des compétences avérées et expérimentées. Moussa Faki, son porte-parole a perdu de nombreuses batailles. Faut-il en rappeler quelques unes: échec au poste de l’élection du Secrétaire Général de l’OCI, échec pour l’organisation des jeux de la francophonie, et ce à deux reprises; échec aussi pour le poste de Commandant de la Minusma. La désignation du Tchad comme membre non permanent au Conseil de Sécurité est tout à fait normale malgré la propagande des affidés du régime car le système est tournant et chaque pays y siègera quand son tour arrivera.
Autrement dit, cela signifie qu’en 25 années, toutes les batailles engagées ont été perdues par la diplomatie tchadienne. Alors, quels sont les secrets de cette réussite d’aujourd’hui ?
Tout d’abord, il faut signaler quelque chose de très étonnant : le Tchad a présenté la candidature de Moussa Faki le 24 octobre 2016, c’est-à-dire, 3 mois seulement avant l’élection qui a eu lieu le 31 janvier 2017 !
C’est à croire que c’est une candidature de dernière minute, trois mois après celle du Sénégalais Abdoulaye Bathily, un an après la postulation de la diplomate kényane.
On peut légitimement se poser des questions. Comment expliquer qu’une diplomatie faible, insuffisamment outillée, ayant cumulé de nombreux échecs, peut se positionner en dernière minute pour une élection difficile à plusieurs tours? Pour comprendre, il est utile de rappeler l’environnement et le contexte dans lesquels cette candidature s’est inscrite.
La question du retour du Maroc au sein de l’Union Africaine a été l’occasion d’une guerre diplomatique sourde entre l’Algérie et le Maroc. Incontestablement, l’affrontement entre les deux pays ne pouvait laisser de côté l’élection à venir du Président de la Commission de l’UA, poste stratégique très important au sein des institutions de l’UA.
L’on sait que, depuis bientôt cinq années, le Maroc prépare son retour au sein de l’UA discrètement, méthodiquement déroulant une offensive diplomatique sur le Continent, multipliant investissements et visites du Roi du Maroc. Après avoir pratiqué, la politique de la chaise vide pendant trente et trois années, le Maroc, après sa percée économique le positionnant sur le peloton de tête des investisseurs en Afrique, ne pouvait plus rester éloigné d’une institution où se retrouvent à intervalles régulières l’ensemble des Chefs d’État africains pour se concerter et prendre des décisions sur le présent et l’avenir du Continent.
L’on se rappelle que la question du Sahara Occidental et la reconnaissance de la République Arabe Sahraoui par l’OUA, a entraîné le départ du Maroc de l’OUA. Le conflit du Sahara Occidental a envenimé les relations entre l’Algérie et le Maroc. Le duel qui s’est soldé par le retrait du Maroc de l’OUA, a ainsi laissé l’Algérie s’implanter au sein des rouages de l’Organisation panafricaine et consolider ses alliances et son influence.
Dés lors, en toute logique, la volonté du Maroc de réintégrer l’Union Africaine devra tenir compte de la position de l’Algérie qui, sans surprise, a déclaré par son ministre des Affaires Étrangères : « Le Maroc a quitté l’OUA, aujourd’hui, nous avons l’UA, c’est autre chose, il faut que le Maroc pose une candidature pour une nouvelle adhésion, on ne peut parler de retour du Maroc au sein de l’UA « . Les hostilités étaient ouvertes, et les coups vont pleuvoir de tous les côtés. Le Maroc fera campagne et obtiendra que le 16 juillet 2016, Idriss Deby Président en exercice de l’UA reçoive une demande de 23 pays africains réclamant le retrait de la République Arabe Sahraoui de l’UA. Cette demande devrait, en toute logique (le quorum étant respecté), être examinée au cours du Sommet du 30-31 janvier 2017 à l’occasion de laquelle le Maroc devrait faire son retour et le nouveau Président de la Commission être désigné.
Le Maroc souhaitait de toutes ses forces que son retour au sein de l’UA quasi certain, se déroule concomitamment avec le départ de la RASD de l’organisation africaine qualifiée de République fantomatique par les officiels marocains.
Il est évident que l’élection du Président de la Commission allait aussi cristalliser la tension diplomatique entre le Maroc et l’Algérie. La présence économique du Maroc dans presque tous les coins de l’Afrique rendait inéluctable le vote en faveur de la réintégration du Maroc au sein de l’UA. Bien avant le Sommet, le Roi du Maroc avait obtenu copie de la réponse écrite positive des pays africains pour son retour. Il suffisait au Maroc d’obtenir 28 voix selon l’article 29 des textes de l’UA, il en avait 39. L’avenir au sein de l’UA, le Maroc ne pouvait la concevoir aux côtés de la République Arabe Sahraouie Démocratique, plusieurs déclarations de ses officiels le confirment. Autrement dit, le Maroc ne pouvait, en aucun cas, ne pas s’intéresser de très près au poste de Président de la Commission de l’UA pour parvenir à son objectif.
Question: le Maroc a-t-il poussé le Sénégal à se déclarer candidat au poste de Président de la Commission de l’UA? Compte tenu des excellentes relations entre le Maroc et le Sénégal, des visites très fréquentes du Roi du Maroc à Dakar, du renforcement considérable de la coopération économique, l’hypothèse est plausible. En juillet 2016, le Sénégal présente sa candidature et le Président Macky Sall fait une déclaration qui fait bondir du côté d’Alger. En effet, le Président sénégalais déclare que la République Arabe Sahraoui n’a plus sa place au sein de l’UA. En reprenant à son compte, officiellement, le point le plus important pour le Maroc, le Sénégal venait de coller l’étiquette de candidat du Maroc à Abdoulaye Bathily et confortait les soupçons d’Alger sur des manœuvres du Maroc tendant à positionner un allié sûr au sein des institutions de l’UA et de disposer ainsi d’une carte pour contrer le bloc formé autour de l’Algérie et de l’Afrique du Sud, deux pays solidement ancrés au sein de l’UA, et ouvertement contre le retour du Maroc. Dans tous les cas, hostiles à la remise en cause du statut du Polisario en tant que membre à part entière de l’UA.
Les diplomates algériens examinent alors les moyens de répondre à cette action du Maroc. Idriss Deby assumait la Présidence de l’UA, les relations entre le Tchad et l’Algérie se trouvaient au beau fixe. Rappelons que l’Algérie et le Tchad font partie de l’Organisation des Etats voisins de la Libye et se concertent sur la situation en Libye, une préoccupation constante pour le régime tchadien. Alger et Ndjamena sont aussi ensemble dans la gestion de la crise malienne et la situation dans l’Azawad. Le Tchad a renforcé sa coopération policière avec Alger. L’Algérie a apporté au Tchad un soutien aérien pour transporter ses troupes en RCA. Ainsi donc l’axe Alger-Ndjamena est sans cesse renforcé mais on relève parallèlement que les relations entre le Tchad et le Maroc font du sur place, voire se dégradent. On peut signaler que la banque ATTIJARIWAFA a été bloquée dans sa volonté de racheter la BCC par le Gouvernement tchadien. Qu’elle a dû patienter 4 années pour avoir les autorisations d’ouvrir une filiale, lesquelles sont octroyées que fin septembre 2016, et le Roi du Maroc a annulé son projet de visite au Tchad vers le dernier trimestre 2016.
L’Algérie va susciter la candidature du Tchad, celle de Moussa Faki, Ministre des Affaires étrangéres en poste depuis plus de 10 ans, mais qui a toujours perdu toutes les batailles qu’il a menées. Mais cette fois, ce n’est plus pareil, la campagne sera conduite par la diplomatie algérienne qui ne va pas lésiner sur les moyens de tous ordres qu’elle dispose, exploiter au mieux possible ses solides relations diplomatiques sur le Continent Africain.
Si le Tchad pouvait rassembler une partie des pays de l’Afrique Centrale et le Mali pour cause d’aide militaire dans la lutte contre Boko Haram , d’autres Etats comme le Gabon, le Congo de Sassou, la RDC ne sont pas des fans inconditionnels de Deby.
C’est ainsi donc que la campagne du candidat Moussa Faki sera satellisée, coachée et conduite par les diplomates algériens dans la discrétion. L’Algérie fera le plein des voix pour le Tchad en Afrique Australe grâce au Bloc constitué avec l’Afrique du Sud qui, elle aussi, va sortir ses griffes contre l’action du Maroc pour agir diplomatiquement et en y mettant les moyens pour aider le candidat du Tchad.
C’est donc une campagne menée tambour battant en trois mois par le bloc Algérie-Afrique du Sud , une campagne pour un candidat d’emprunt utilisé dans cette guerre diplomatique entre l’Algérie et le Maroc qui est loin d’être finie et va se poursuivre au sein de l’UA . Le Maroc qui a réintégré l’Organisation panafricaine, a toutefois été mis en échec par rapport à sa volonté de faire exclure la République Arabe Sahraoui de l’UA.
Les diplomates marocains ont déclaré officiellement que le Royaume se battra pour mettre hors de l’UA la fantomatique République Arabe Sahraoui.
Neuf pays ont officiellement pris la parole pour s’opposer au retour du Maroc au sein de l’UA : il s’agit de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, de l’Angola, de l’Ouganda, du Mozambique, de la Namibie, du Botswana, du Lesotho. Le Maroc a obtenu, au jour de l’examen de la demande de retour, après avoir présenté à l’Assemblée tous les textes de ratification du parlement marocain reconnaissant l’UA, 42 réponses écrites positives pour son retour. La délégation marocaine avait obtenu qu’au vu du nombre important de voix qu’un vote ne soit pas fait mais qu’une approbation par acclamation ait lieu. C’est ce qui fut fait.
Par rapport à la demande des 23 pays africains coachés par le Maroc pour demander l’examen de la question de l’exclusion de la République Arabe Saharaoui, le bloc Algérie-Afrique du Sud a riposté en brandissant l’argument que les textes de l’UA ne prévoient pas de procédure d’exclusion ou de gel. Le seul cas prévu ne peut s’appliquer à la République Arabe Sahraoui.
Précisons aussi que le Tchad a envoyé une réponse positive au retour du Maroc, bien avant le Sommet. L’entregent des diplomates algériens a permis de gérer les différents tours de l’élection pour veiller à ce que les reports des voix se fassent bien en faveur du candidat tchadien et éviter les coups bas et autres actions venant de l’autre camp. Ce que la diplomatie tchadienne ne pouvait en aucun cas assurer à l’échelle de presque 52 pays, elle n’a jamais pu le faire dans le passé quand le ciel était dégagé, comment aurait-elle pu le faire sur fond de guerre diplomatique ouverte ?
Après avoir été porté à bouts de bras et installé Moussa Faki Mahamat sur le fauteuil du Président de la Commission de l’UA, les diplomates algériens se sont retirés discrètement de la scène. Et les tams-tams de tonner, les yous-yous de se faire entendre et Idriss Deby de rigoler, de festoyer et vive la Bamboula ! Cela vous rappelle quelque chose ?
La Rédaction de ZOOMTCHAD